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croit utile d’initier ses compatriotes aux délices de notre opérette, le camp des jeunes se prépare aux grandes aventures. A leur tête marche Boïto, poète et musicien. Non content d’écrire ses propres poèmes, il en compose pour les autres ; versé à fond dans les littératures étrangères, maniant les sujets et le style, il découpe Goethe à son usage et taille à Verdi de la besogne en plein Shakspeare. A ne considérer que l’arrangement du scénario, son Mefistofele mérite attention, et ce n’est pas un librettiste du vieux temps qui jamais eût conçu cette idée de relier ensemble les deux parties de Faust, et d’encadrer le double roman de Marguerite et d’Hélène entre le prologue dans le ciel et l’épilogue. Quant à la musique, aujourd’hui qu’elle a fait victorieusement son tour du monde, on en peut raconter les premières déconvenues sans préjudice pour l’auteur, qui, lorsqu’il fut sifflé jadis à la Scala, eut le sort réservé aux novateurs de toutes les époques et de tous les pays. Boïto s’occupe en ce moment d’un Nerone, dont il écrit la pièce et la musique en même temps qu’il prête à Verdi, pour Iago, ses conseils littéraires. Nommons aussi Ponchielli, musicien vigoureux, très imprégné d’italianisme, quoique plaçant son idéal dans notre grand opéra français, technicien et tacticien consommé, maître de son orchestre et de ses chœurs, aimant par-dessus tout le théâtral et le mouvement décoratif. Les Fiancés, de Manzoni (i Promessi Sposi), représentés il y a dix ans, et qu’on reprenait naguère à Milan avec succès, furent son premier triomphe; il donna ensuite i Lituani, il Figlio prodigo; mais, de ses ouvrages, aucun n’égale la Gioconda, que probablement Paris n’applaudira jamais, à cause du poème, qui n’est autre que celui d’Angelo, tyran de Padoue. Autant on en peut dire du Ruy Blas de Marchetti, Victor Hugo refusant d’autoriser la mise en scène de tout drame de lui traduit en musique. Quelle chance pour Donizetti et pour Verdi d’avoir pris les devans, l’un avec Lucrezia Borgia, l’autre avec Rigoletto, car le fait, hélas ! ne se reproduira plus; et voilà ce que nous aura valu cette rage dont les feuilletonistes semblent possédés, comme si c’était une nécessité de crier à tout propos que les drames de Victor Hugo, si beaux qu’ils soient, sont encore plus beaux en opéras!

Ce que produira le mouvement auquel nous assistons, il serait assez difficile de le préciser. Mais ce qu’il importe de constater, c’est la crise de fermentation partout flagrante. La trinité des anciens jours ne fait plus de miracles: Rossini, Bellini, Donizetti sont oubliés, sans que pourtant on puisse définir le nouveau culte qui les remplacera, car ce que nous voyons jusqu’à présent est fort indécis, et, si wagnérisme il y a, c’est un wagnérisme bien en surface. Spontini reprochait aux Allemands de traiter la musique comme une affaire d’état, les Italiens la traitent comme une affaire