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d’agrément, et peut-être leur sensualisme de race s’est-il laissé prendre aux colorations plus ou moins vertigineuses d’un orchestre qui tient parfois de la magie ; peut-être n’ont-ils vu dans Wagner que le chromatique et le sonorisme, ce qui donnerait à croire qu’ils ne pousseront pas jusqu’au système et serait rassurant pour l’avenir. Quoi qu’il en soit des tendances de l’heure, elles n’aboutiront que par un retour aux grands classiques. Tout cela manque de préparation et de cohésion. La quantité dépasse trop la qualité : Multa sed non multum. C’est par Gluck, Mozart et Beethoven qu’il faut aborder les conquêtes du germanisme musical contemporain. Il faut, en outre, que la musique d’un pays soit appropriée à sa littérature ; rien ne va sans un certain ensemble organique ; il n’y a que des insolations.

Habituer à la salle de concert un peuple aussi exclusivement amoureux du théâtre n’était point une entreprise très commode. En fait de musique instrumentale, les Italiens n’avaient guère jusqu’alors pratiqué et goûté que l’ouverture dramatique appelée chez eux sinfonia tout court, tandis que l’autre, la grande, celle de Beethoven, a nom : Sinfonia classica a quattro tempi. Une ère de réaction en faveur du genre allait pourtant se prononcer, mais sans amener d’abord de résultat notable. La critique, telle que nous l’entendons en France, et qui fut d’un si grand secours pour la fondation des concerts populaires, cette critique alerte et prompte, sachant passionner une question et l’éclairer, n’existait pas en Italie ; il n’y avait que des pédagogues blanchis sous la théorie ou des rhéteurs emphatiques, tous également incapables de pousser à la roue et d’endoctriner le public. Mêmes difficultés dans l’enseignement des conservatoires : entre une scolastique surannée ou le donizettisme, point de choix. Je ne veux pas dire que, parmi ces compositeurs de la tradition rossinienne, parmi ces disciples imperturbables du crescendo et de l’accompagnement à la tierce, plusieurs ne fussent habiles à trousser une fugue à quatre et même à huit parties : presque tous ces gens-là savaient et savaient énormément. S’ils péchaient, c’était avec intention. Un maître tel que Rossini, des hommes tels que Mercadante et Donizetti ne font que les fautes de grammaire qu’ils veulent faire. Seulement ils regardaient comme un non-sens d’amalgamer leur idéal avec ce qui s’apprend. À leurs yeux, le contrepoint représentait une manière de pensum qu’il faut savoir traiter à part, et n’ayant rien de commun avec l’absolue indépendance et la spontanéité de l’idée. De Rossini à Verdi ainsi procède le génie italien. Ces lauréats de conservatoire, dont l’espèce fourmille chez nous, cette classe intermédiaire de médiocrités académiques, on ne la connaît pas de l’autre côté des Alpes : aristocratie ou prolétariat, point de bourgeoisie.