Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/941

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

année ; voyez plutôt cette liste de récompenses : quels yeux refuseraient de s’y réjouir ? Pour les hommes : un premier prix de tragédie et un second, un premier accessit, un second et un troisième ; un premier prix de comédie et un second, deux premiers accessits et un second. Pour les femmes : un premier prix de tragédie et un second, un premier accessit et deux seconds ; trois premiers prix de comédie et un second, trois premiers accessits et deux seconds. Notez que plusieurs élèves n’ont pas été récompensés… Voilà un Conservatoire de déclamation le plus prospère, le mieux institué, sans doute, et le mieux gouverné du monde !

J’en sais un bien misérable : il est gouverné, — quoique ce ne soit pas seulement un Conservatoire de musique, mais aussi de déclamation, — par un vieux musicien ; il est institué de la façon la plus piteuse et la plus absurde qui se puisse imaginer : il n’a que tout juste quatre professeurs, qui ne font que chacun, en deux fois, quatre heures de classe par semaine, sans aucun programme d’études. — C’est le même : c’est le Conservatoire de Paris.

Eh quoi ! c’est le même ! C’est celui-là, borné à de si faibles ressources, qui produit, en cette année, tant de prix et d’accessits ! Qu’importe que la machine soit pauvre et ne paraisse qu’à peine dirigée, si elle prouve son excellence par de si puissans effets ? — Mais peut-être il convient d’examiner ces effets avec un peu de rigueur : au moins aurons-nous l’indiscrétion de regarder la liste des morceaux de concours et de rechercher surtout quels morceaux ont déclamés les candidats heureux. La tragédie renaît et la comédie se maintient, dites-vous ? Mais, de grâce, où prenez-vous la tragédie et la comédie ? Si d’aventure une jeune fille avait remporté le prix de tragédie pour avoir récité une fable, sous le prétexte qu’Adrienne Lecouvreur, mise en scène par MM. Scribe et Legouvé, récite les Deux Pigeons ; ou si le prix de comédie était échu à l’élève qui eût le mieux battu des entrechats, par cette raison qu’il y a un maître à danser dans le Bourgeois gentilhomme, on permettrait que nous fissions difficulté de nous ébaubir sur le renouveau de la tragédie et la prospérité de la comédie. Or c’est à peu près ce que nous trouvons.

Cinq jeunes hommes sont récompensés pour la tragédie ; un seul,— et c’est le dernier, — avait choisi un morceau du grand répertoire tragique : le récit du Cid. Mais le premier prix appartient au rôle d’Hamlet, — l’Hamlet de Dumas père, — et le second prix au rôle de Ruy Blas ; les personnages de Glocester, dans les Enfans d’Édouard, et de Brutus, dans la Mort de César, ont retenu les deux premiers accessits. Mettons que Brutus fût digne de paraître dans cette fête de la tragédie ; prenons même que Glocester n’y soit pas un intrus ; que dire de Ruy Blas et d’Hamlet, qui sont justement les mieux partagés ? Sont-ils des personnages