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tragiques? Ce jeune homme triomphe dans Hamlet : pouvons-nous le tenir pour éprouvé dans le répertoire? Nous avons lieu de craindre qu’il ne s’y comporte en étranger, et voici qu’il échoue dans le Misanthrope de façon à justifier nos craintes. Son camarade, ce Ruy Blas, peut être un héros romantique fort présentable; sommes-nous assurés davantage que ce soit un tragédien? Les jeunes filles, d’autre part, ne nous donnent guère plus de garanties : celle-ci, que son premier prix fait entrer à la Comédie-Française, est une Marion Delorme. Est-ce une Andromaque, une Iphigénie, une Bérénice? Mais si nous tournons les yeux vers la comédie, que voyons-nous? Celle-ci obtient un premier prix dans une scène de la Princesse Georges; la princesse Georges est-elle un personnage de drame, ou de comédie? Celui-ci Goncourt dans Ruy Blas et paraît mériter un second prix; quel rôle joue-t-il? Celui de don Salluste. Faire passer don Salluste pour un personnage comique est hardi, surtout après que, dans la matinée, on a présenté Ruy Blas pour un personnage tragique. Il faut convenir que le bon sens, pour ne point parler de l’art, est choqué par l’arbitraire d’une telle classification; — à moins d’admettre que l’heure de midi sépare les genres et que toute autre distinction sera récusée comme douteuse : qui dit tragique, dit avant midi; comique, après midi; cela suffit et tranche tout! Aussi bien c’est la seule façon d’expliquer que Glocester, des Enfans d’Édouard, ce Tartufe de drame, soit un tragique, — et Alvarez, du Supplice d’une femme, ce héros passionné, un comique; c’est la seule façon d’expliquer que Marion Delorme encoure en tragédie et la Tisbé, — la Tisbé d’Angelo, — en comédie. La Tisbé!.. Oui, je vois bien qu’il est trois heures, et MM. les jurés digèrent; mais en vérité se peut-il imaginer rien de plus bouffon? Michelet a prêté à rire pour avoir divisé le règne de Louis XIV en deux périodes : avant la fistule, après la fistule. Comment tenir son sérieux, au Conservatoire, lorsqu’on voit la littérature divisée en deux parts : avant le déjeuner, après le déjeuner?

Voilà comment la tragédie renaît et la comédie prospère; la vérité, c’est que l’une et l’autre languissent dans un chaos où le drame, de ci de là, tire à lui tous les élémens. Le drame seul profite ou paraît profiter dans cette anarchie où croupit le Conservatoire. Tant que durera cette anarchie, comment compter que les choses iront mieux?

M. Ambroise Thomas, directeur du Conservatoire de musique et de déclamation, est un homme considérable dans l’administration des beaux-arts. Compositeur de musique, il est maintenant à l’apogée de son bonheur : son dernier ouvrage, Françoise de Rimini, a fait rendre justice au mérite de l’avant-dernier, Hamlet; à moins qu’il ne réserve encore un opéra qui fasse reconnaître le dernier pour supérieur, on ne voit guère qu’il puisse être plus heureux. Si le titre de directeur du Conservatoire de déclamation n’était qu’une dignité, si le poste