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III

Avant qu’avis eût été donné officiellement à Paris du vote qui venait de clore la session du conseil supérieur, une nouvelle évolution ministérielle avait lieu au siège du gouvernement de la mère patrie. Le président du conseil, M. Gambetta, trouvant tout à coup que la réunion dans les mêmes mains des pouvoirs civils et militaires n’avait plus sa raison d’être, rendait son indépendance au commandant du 19e corps d’armée et plaçait même directement sous ses ordres les indigènes établis en territoires militaires. C’était un recul sur d’autres mesures qui avaient rencontré grande faveur de l’autre côté de la Méditerranée. Un autre décret de la même date (26 novembre 1881) nommait le conseiller d’état, M. Tirman, gouverneur-général de l’Algérie. Mais, deux mois plus tard, M. Gambetta n’était plus président du conseil, et lorsqu’il ouvrit la session de novembre 1882, M. Tirman était en mesure d’annoncer aux membres du conseil que, grâce au dévoûment connu du général Saussier pour le principe du gouvernement civil, l’administration avait définitivement recouvré sa pleine et entière autorité sur les populations indigènes des territoires de commandement. Il se félicitait aussi d’avoir obtenu quelques modifications au système des rattachemens, attendu que de nouvelles délégations lui avaient été données par les titulaires des divers départemens ministériels et que la disposition du budget de l’Algérie lui avait été rendue. Etait-il toutefois bien fondé à vanter « l’organisation nouvelle comme ayant le grand avantage de rétablir la vérité du régime parlementaire, parce qu’elle attribuait, suivant lui, à chaque ministre la responsabilité de ses actes personnels ou des actes de son délégué[1] ? » Le contraire était bien plus près de la vérité. A la responsabilité, déjà bien fictive, mais du moins concentrée sur une seule tête, du ministre de l’intérieur, chargé, pour la forme, de présenter et de défendre le budget de l’Algérie, cette innovation a substitué la responsabilité non moins fictive et indéfiniment disséminée de chacun des ministres venant inscrire à la suite des dépenses affectées aux services de son département celles qu’il lui faut consacrer à l’Algérie et qui ne figurent dans un dernier chapitre spécial que par acquit de conscience, comme une sorte de post-scriptum sans importance. En fait, cet éparpillement

  1. Discours prononcé par M. Tirman à l’ouverture de la session de 1882.