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se résolut à donner le commandement d’une armée à don Juan ; il mit à ses côtés un conseil, composé de Mondejar, de Deza, le président de la chancellerie de Grenade, auditeur de l’inquisition et ennemi acharné des Maures, l’archevêque de Grenade, le duc de Sesa et Quixada ; Bequesens, le grand commandeur de Castille, devait tenir la côte et empêcher le débarquement des Turcs sur la côte d’Andalousie. Vers la fin de mars 1569, don Juan accompagna le roi de Madrid à Aranjuez ; il le quitta le 6 avril, avec Quixada et le reste de sa maison ; il traversa en six jours, à cheval, la plaine de la Manche et les montagnes de Jaen ; à une petite distance de Grenade, il fut reçu par le marquis de Mondejar et fit une entrée solennelle à Grenade, entouré de cavaliers richement montés, les uns avec des manteaux de velours, les autres avec la marlota, ou tunique mauresque, jetée sur l’armure, et des turbans autour du casque. Tout le monde admira la bonne mine et la grâce du prince ; il eut de bonnes paroles pour les femmes maures, qui se pressaient autour de son cheval en lui demandant justice. A peine arrivé à Grenade, il reçut l’ordre de faire sortir de la ville tous les Maures âgés de dix à soixante ans et de les envoyer sous escorte aux frontières de l’Andalousie. Les malheureux proscrits furent convoqués dans leurs églises et on leur fit connaître leur sort. De longues colonnes de captifs furent conduites hors de la ville. Tout se passa avec le plus grand ordre ; on estime à au moins dix mille le nombre de ceux qui durent quitter la ville. Des femmes, des enfans, des vieillards moururent sur les routes de fatigue, de faim, de douleur ; beaucoup furent vendus comme esclaves par les soldats chargés de les escorter.

Les Maures, pendant ce temps, devenaient plus formidables et infligeaient des échecs sérieux aux troupes royales. Nous ne raconterons pas tous les épisodes d’une guerre qui devint promptement une guerre d’extermination. Don Juan se dégagea par degrés de son conseil, qui lui opposait sans cesse des obstacles. Le roi lui demandait constamment de ne pas s’exposer dans les occasions, mais don Juan n’était pas de ceux qui mènent des opérations militaires au fond d’un cabinet : « A mon âge et dans ma positionne vois que l’intérêt de Votre Majesté exige que, s’il y a quelque appel aux armes ou quelque entreprise, les soldats me voient à leur tête, ou du moins au milieu d’eux. » Un autre jour, il écrit au roi, qui lui reprochait de se trop exposer : « Je vois clairement, Sire, que, comme Dieu m’a fait différent des autres hommes, je dois être plus soucieux de mes devoirs qu’aucun autre. »

Un des épisodes les plus dramatiques de la guerre fut le siège de Galera, : don Juan mit le siège devant cette forteresse le 19 janvier 1570 ; la crête rocheuse, formant un cap au confluent de deux