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droit chemin, mais du moins on est sûr de ne pas s’en écarter considérablement. Morale modeste et qui devrait inspirer la modestie à ceux qui la pratiquent, car elle est celle de la médiocrité.

Ainsi, à tous les points de vue, la soumission à la majorité n’est qu’un expédient nécessaire, admis par une convention et auquel on ne devrait pas attribuer une sorte d’infaillibilité mystique. Il faudrait, au contraire, se souvenir que c’est une transaction, non une solution véritable, et que toute transaction exige la modération dans le succès.


III

Dans une décision à prendre, nous venons de le voir, on ne peut pas concilier la majorité et la minorité ; mais, quand il s’agit de la délibération, on peut fort bien les concilier en représentant toutes les opinions et en leur permettant de s’exprimer. Un cerveau ne peut pas se décider pour deux choses contraires à la fois, mais il peut et il doit délibérer sur les contraires ; il en est de même pour cette sorte de cerveau national qu’on nomme un parlement. Dans le cerveau de l’animal, toutes les parties du corps sont représentées par des centres « sensoriels et moteurs, » auxquels aboutissent les sensations et d’où partent les mouvemens : c’est une sorte de délégation des membres au cerveau. Mirabeau, à ce sujet, se servait d’une autre comparaison qui n’a pas moins de justesse : « Les assemblées représentatives peuvent être comparées à des cartes géographiques qui doivent reproduire tous les élémens du pays avec leurs proportions, sans que les élémens les plus considérables fassent disparaître les moindres. »

Maintenant, jusqu’où doit aller cette proportionnalité dans la représentation ? Doit-elle viser à une exactitude presque mathématique, comme le voudraient les partisans actuels de Stuart Mill et de Hare, parmi lesquels on peut nommer M. Naville et M. Bluntschli ? — C’est la grave question de la représentation proportionnelle des partis, en vue de laquelle se sont fondées des sociétés de propagande, des journaux, des revues.

Pour résoudre le problème, il faut d’abord examiner la nature et le rôle de ces divers partis dont on nous propose d’assurer la représentation exacte. Au point de vue de la science sociale, deux espèces de forces sont indispensables au corps politique comme à tout organisme vivant : forces de conservation et forces de progrès. Elles se personnifient dans les deux grands partis qui devraient dominer chez tous les états modernes : libéraux conservateurs et libéraux progressistes. Au lieu de se détester mutuellement, ces partis