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devraient comprendre qu’ils sont nécessaires l’un à l’autre et nécessaires à l’ensemble. Au point de vue psychologique, l’état, qui est l’homme agrandi et résume en soi toutes les forces vives de l’homme, doit renfermer simultanément des partis qui se distinguent entre eux par des différences correspondant à celles des âgés successifs dans l’individu. C’est ce point de vue qu’ont développé Rohmer et M. Bluntschli ; ce dernier a fait avec finesse la psychologie des divers partis, quoiqu’il ait poussé trop loin la symétrie des rapprochement. À l’adolescence répond le radicalisme. Toutes les pensées de l’adolescent sont pour l’avenir ; un monde nouveau s’ouvre devant lui et il croit qu’il pourra l’organiser à sa fantaisie. Cet idéalisme et ce goût des principes abstraits se montrent au XVIIIe siècle et à l’époque de la révolution française. Rousseau, « le grand maître du radicalisme, » part de définitions générales pour construire mathématiquement l’état comme une pyramide régulière ; Robespierre se fait l’exécuteur de ses conceptions géométriques et inflexibles. Toute formule apprise à l’école semble à l’adolescent une vérité universelle et partout applicable ; le radical pense de même : il prête à ses lois et à ses institutions un pouvoir magique. L’adolescent aime à pousser les choses à l’extrême ; on le voit, armé de sa petite logique, aller de destruction en destruction sans s’inquiéter des obstacles : il confond l’école avec la vie réelle et mesure l’une par l’autre. Combien de théoriciens ont construit l’état de la même manière ! L’adolescent ne comprend pas plus les vraies proportions des forces que leurs précédens historiques : il entreprend de grandes choses avec de petits moyens et s’étonne naïvement de l’insuccès. Son courage s’anime facilement et il est presque aussitôt téméraire. Comme lui, le radical est entreprenant ; comme lui, il est peu constant. Follement audacieux dans l’attaque, la défaite est pour lui une déroute. Tout lui semble alors perdu ; mais un rayon de soleil ressuscite toutes ses espérances et l’emporte à de nouvelles entreprises. Le suffrage universel ne devrait jamais oublier que « les radicaux peuvent être de bons opposans, mais qu’ils sont de détestables gouvernans. » Par malheur, dans le mode actuel de scrutin, la violence même des radicaux est une chance de succès auprès des masses, auxquelles il suffit trop souvent de tout promettre pour tout obtenir d’elles.

L’esprit libéral et progressiste répond à l’âge de la jeunesse et de la première virilité, qui se distingue surtout par le développement des forces productives. Le jeune homme cherche à s’affirmer, à produire, à prendre sa place dans le monde. Les natures libérales offrent le même caractère, et la puissance organisatrice qu’elles montrent est le signe infaillible du véritable libéralisme. « La plupart des esprits créateurs sont libéraux ou brillent par quelque