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dans les livres que s’apprennent ces distinctions subtiles et voilà pourquoi le pilote, malgré toute notre science, n’a pas cessé d’être en mainte occasion un des rouages les plus indispensables de la grande machine navale. La vapeur, avec les vitesses prodigieuses qu’elle permet, je serais presque tenté de dire qu’elle impose, ne nous laisse guère le temps de recourir, comme nous le faisions autrefois, à nos cartes, à nos compas, à nos rapporteurs. Fixer sa position à l’aide de relèvemens pris à la boussole ou d’angles observés au sextant était bon pour le navigateur à voiles qui s’en allait d’un pas tranquille et lent à son but : quand on dévore l’espace, il faut avoir pour se diriger de bons alignemens gravés dans la mémoire, des l’un par l’autre, disait, dans son langage pittoresque de vieux marin breton, le brave amiral Tréhouart. Aussi, lorsqu’un de mes vœux les plus opiniâtres se trouva heureusement accompli, lorsque je pus saluer d’une approbation joyeuse la création des pilotes d’arrondissement, ne me tins-je encore que pour à demi satisfait. Je réclamai avec la même énergie l’extension de cette institution si utile, si remplie d’avenir, à nos stations extérieures. Je voulais que, dans toutes les mers où nous entretenons des divisions navales, on s’occupât, sans s’arrêter aux frais, de constituer sur un des navires de la station un véritable dépôt de pilotes français que j’appelais à dessein, pour les bien distinguer des pilotes lamaneurs du pays et pour spécifier en quelque sorte leur rôle, des pilotes militaires, j’aurais volontiers dit des pilotes à responsabilité limitée. Cette institution nous eût, à bref délai, donné un avantage immense sur les marines étrangères, qui ne se seraient pas hâtées de nous imiter. Plus le théâtre des opérations eût été dangereux, plus la chance de primer nos adversaires de manœuvre aurait eu de probabilité et de prix.

Trouver, en quelque lieu que nous nous présentions, ces pilotes d’arrondissement qui nous rendent sur nos côtes de si grands services, voilà ce que j’ambitionnais. Avais-je tort ? N’allais-je pas m’exposer au risque, — quelques-uns de mes contradicteurs l’appréhendaient, — de faire désapprendre à nos officiers la partie la plus sérieuse du métier, de les affranchir du soin de la route et de les réduire si bien à des fonctions purement militaires qu’au bout de quelque temps on ne rencontrerait plus sur nos vaisseaux que des soldats ? Devant un tel péril, je m’explique aisément qu’on ait reculé. Aujourd’hui on doit s’être convaincu que la crainte était chimérique. Les pilotes d’arrondissement ont gagné haut la main leur procès ; les pilotes militaires n’auraient pas eu longtemps à plaider le leur. S’il y eût eu danger d’amollissement pour nos capitaines trop bien secondés, le remède n’était-il pas facile ? Il fallait leur inculquer de