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probablement le plus grand nombre des liquides que nous connaissons, se transformeraient en montagnes solides…

« L’air, dans cette supposition, ou du moins une partie des substances aériformes qui le composent, cesserait sans doute d’exister dans l’état de fluide invisible, faute d’un degré de chaleur suffisant ; il reviendrait donc à l’état liquide, et ce changement produirait de nouveaux liquides dont nous n’avons aucune idée. »

Lavoisier se trompait sur la température de Jupiter et de Saturne ; il voyait juste sur la possibilité de ramener l’air à l’état liquide ; mais, comme l’expérience n’avait pas prononcé, la prédiction n’était qu’une utopie qu’on oublia, et la question fut abandonnée. Elle sommeilla longtemps, pour ne se réveiller qu’en 1823 entre les mains de Faraday : ce fut le premier terrain d’études de ce grand physicien. Il était le fils d’un forgeron très misérable. A treize ans, il fut mis en apprentissage chez un relieur de livres. C’était un enfant curieux, et, dans le réduit étroit où il demeura pendant huit années, il s’oubliait en lisant les pages qu’on lui donnait à coudre. Le hasard mit entre ses mains un traité de chimie de Mme Marcet, et une bonne étoile le conduisit aux leçons que Davy donnait à l’Institution royale. Il en fut ébloui, les rédigea et, après les avoir recopiées avec soin, les envoya au maître avec une lettre où il le suppliait de le débarrasser d’un métier qu’il détestait pour lui apprendre la chimie qu’il adorait. Davy fut touché ; mais que pouvait-il faire de cet enfant ? « Lui faire rincer les verres du laboratoire et voir ce qu’il vaut. » Davy se rendit à ce conseil donné par un ami, et voilà comment Faraday, « de l’état d’un ouvrier payé à l’heure, se vit transformé en philosophe, » comment, à vingt et un ans, il entra dans le laboratoire célèbre où Davy avait trouvé le potassium et où lui-même devait faire tant de découvertes. Il y entrait comme assistant, — nous dirions en France comme garçon de laboratoire, — avec un rang si humble qu’il touchait à la domesticité, au point que, dans un voyage qu’il fit en France en compagnie de son patron, Faraday ne fut pas toujours admis à la table des maîtres. Il est curieux de rappeler qu’un petit paysan bourguignon, qui se nommait Thénard, entra chez Vauquelin aux mêmes conditions, avec les mêmes promesses de gloire.

Tout changea pour Faraday quand il eut fait sa première découverte, la liquéfaction du chlore : il avait vingt-deux ans. Les détails de cette expérience ont été racontés par Tyndall et méritent d’être conservés. On savait que le chlore, en se combinant avec l’eau froide, forme des cristaux. Faraday les prit, les mit dans un tube, qu’il ferma, les fit fondre en les chauffant et vit deux liquides séparés : l’un qui était de l’eau, l’autre qui surnageait et qu’un