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malédiction dans laquelle se concentrent toutes les passions humaines ? Il est méconnaissable, parce que Hogarth l’a voulu ainsi. De même que Tom Idle, à cent mètres du gibet, n’est plus Tom Idle, Rakewell, bouleversé par la rage délirante du décavé, n’est plus Rakewell. De fureur, il a jeté sa perruque. La façon dont il se renverse en arrière fait fuir et disparaître le front, siège de l’intelligence et des pensées nobles, tandis que la mâchoire fait saillie, convulsée par un rictus farouche. Le froid égoïste, le viveur de bon ton, ont fait place à un fauve déchaîné ; c’est le carnassier qui se réveille dans l’homme, c’est le tigre qui se lève.

Les deux derniers tableaux nous transportent, avec Rakewell, d’abord à la prison pour dettes, ensuite à la maison de fous, où le malheureux expire dans un accès de délire furieux. Jusque dans ces affreux asiles, sa maîtresse le cherche pour le consoler, et sa femme le poursuit pour le maudire. Tout le monde reconnaît que la dernière scène, faute de temps ou faute de soin, n’a pas donné ce qu’on devait attendre de Hogarth en un pareil sujet. La prison contient d’amusans épisodes, entre autres celui du débiteur insolvable, qui ne peut se libérer de quelques shillings, et qui a trouvé un moyen infaillible de payer les dettes de l’état. Mais des détails de cette nature sont-ils à leur place dans l’avant-dernière scène d’un drame ? Une faute plus grave est de faire composer à Rakewell, dans sa prison, des pièces de théâtre que les directeurs refusent de jouer. Le bohème littéraire est un type, le mondain dépravé en est un autre. En les confondant, — ne fût-ce qu’une minute, — Hogarth a troublé la netteté de l’image qu’il présentait aux spectateurs.

Nous n’aurons même pas cette légère critique à adresser à l’Histoire de la courtisane, dont la logique est irréprochable autant que douloureuse, et dont le dénoûment porte l’émotion à son apogée. Le coche d’York vient de faire son entrée dans la cour de la Cloche ; scène bien vulgaire en 1730, mais qui prend un intérêt rétrospectif aujourd’hui que les gares modernes ont transformé la physionomie du départ et de l’arrivée. Deux voyageurs descendent du coche, un clergyman de campagne et sa fille. Le père, — un digne confrère du vicaire de Wakefield, — est fort occupé à reconnaître sa malle, petite caisse modeste mais solide, noire avec des clous dorés, qui dessinent des initiales sur le couvercle, une de ces caisses comme la province en fabriquait encore il y a cinquante ans. L’honnête ministre a sans doute quitté son pauvre presbytère pour venir solliciter à Londres. On sent que ce voyage est pour lui une grande affaire. Pendant qu’il se débat, s’oriente, se renseigne, la petite demoiselle, un peu interdite, reçoit les civilités d’une vieille dame, qui, à en juger par sa mise, doit être une personne de qualité. Elle entre en propos par quelques complimens toujours bien accueillis