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juge Sewell d’avoir poussé le gouverneur Craig à violer la constitution ; elle prétendait entretenir un agent à Londres et avait voté une somme de 5,000 livres sterling pour offrir à Prévost un témoignage de la reconnaissance publique ; le conseil législatif lui fait échec sur tous les points, dirige les accusations les plus injustes contre le gouverneur qui avait tant contribué à conserver le Canada et qui mourut avant que l’Angleterre eut reconnu ses services. Son successeur, le général Drummond, débute en 1816 par un message hautain où il informe le parlement local que les plaintes contre les juges Sewell et Monk sont considérées comme non avenues, et, au moment même où celui-ci allait riposter sous forme d’une adresse au prince, il prononce sa dissolution. Cependant, tels étaient les abus des fonctionnaires qu’il dut lui-même provoquer la destitution du chef du service des postes et qu’il se vit forcé d’écrire aux ministres qu’il n’y avait plus de place au sud du Saint-Laurent pour les émigrans et les soldats licenciés : en moins de vingt ans, plus de trois millions d’acres avaient été concédés à des spéculateurs, à des favoris ; le gouverneur Milnes s’en était adjugé 70,000 pour sa part. C’était l’application cynique du proverbe turc : « Le trésor public est une mer ; qui n’y boit pas est un sot. » Pour justifier ces exactions par un semblant de politique, la bureaucratie alléguait que cette bordure de loyaux sujets sur la frontière empêcherait les Canadiens de pactiser avec les États-Unis. « Folle politique ! s’écria le député Andrew Stuart, qui, avec MM. Papineau fils, Viger et John Neilson, avait l’honneur de diriger alors la majorité de la chambre. On craint le contact de deux peuples qui ne s’entendent pas et l’on met là pour barrière des hommes de même sang, de même langue, des hommes qui ont les mêmes mœurs et la même religion que l’ennemi ! »

Sir John Sherbrooke, qui remplaça, en 1816, le général Drummond, conseilla aux ministres de changer de tactique : permettre à la chambre d’avoir un agent à Londres, chercher à gagner par des emplois les chefs du clergé et du peuple, les placer entre leur conscience et leur intérêt, lui semblaient des moyens bien autrement sûrs que la coercition, qui ne ferait qu’accroître la haine et la discorde. Le bureau des colonies ne dédaigna pas entièrement ces avis, bien qu’il penchât pour une lutte ouverte et que lord Bathurst encourageât le gouverneur à tenter une nouvelle dissolution et à s’appuyer sur le conseil législatif, instrument commode, destiné à jouer le rôle de ces rajahs de l’Inde, de ces empereurs de Java, véritables poupées dont les Anglais et les Hollandais tiennent les ficelles. D’ailleurs, tout en accordant à Sherbrooke des témoignages de sympathie, l’assemblée se tenait sur ses gardes : comme ces peuples auxquels Napoléon Ier avait enseigné l’art de la guerre à force de les battre, elle avait, sous le dur patronage de l’Angleterre,