Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

imposait le principe de l’expropriation pour cause d’utilité publique, encore fallait-il le faire suivre de son corollaire immédiat, l’indemnité juste et préalable ; n’est ce qu’on négligea de faire ; on crut s’acquitter pour le moment avec des promesses dont les malheureux expropriés durent se contenter en guise de paiement et qui, à peu d’exceptions près, ne furent jamais tenues. Il y eut là, pour la population mauresque, un grief légitime et une cause permanente de ressentiment contre les Français. Il y en avait bien d’autres, à commencer par un des premiers arrêtés du général Clauzel, daté du 8 septembre, qui, contrairement à la capitulation du 4 juillet, déclarait réunies au domaine les propriétés du dey, des beys et des Turcs déportés. Cette confiscation sommaire fut suivie, le 7 décembre, d’un acte qui attribuait au domaine la gestion des biens considérables, provenant des fondations pieuses ou charitables faites en faveur des villes saintes de La Mecque et de Médine, des mosquées, des fontaines publiques et des pauvres. L’état sans doute ne faisait ici que se substituer aux administrateurs musulmans, car il devait pourvoir en leur lieu et place aux dépenses que les revenus de ces biens devaient couvrir ; mais les agens du domaine comptaient sur un excédent de recettes dont bénéficierait le trésor. Il en fut tout autrement, au moins pour les fontaines, qui naguère, sous l’administration de l’amin-el-aïoun, étaient admirablement entretenues à peu de frais, tandis qu’entre les mains des agens français, elles coûtèrent beaucoup plus, tout en donnant moins d’eau à la ville.

L’administration de la justice fut réglée par un arrêté du 22 octobre qui dénotait chez son auteur plus de bon vouloir que de connaissances juridiques. Les musulmans et les juifs conservaient leurs juges naturels, ceux-là le cadi maure, ceux-ci le tribunal des rabbins. Pour les Français, il était institué une cour de justice et un tribunal de police correctionnelle ; en matière criminelle, l’action de la cour était limitée à l’instruction des affaires ; les prévenus devaient être renvoyés en France pour y être jugés. Le législateur ne prévoyait pas que les cours d’assises des Bouches-du-Rhône et du Var allaient se refuser à connaître de faits commis hors du territoire affecté à leur compétence. La juridiction des consuls des diverses puissances à l’égard de leurs nationaux et celle des conseils de guerre sur les indigènes prévenus de délits ou de crimes contre les personnes et les propriétés des Français étaient maintenues. Avec tous ses défauts, l’arrêté du 22 octobre répondait à un si grand et si pressant besoin qu’il fut accueilli avec satisfaction et que les décisions judiciaires furent acceptées sans trop de plaintes, chose encore plus étonnante quand on voit par quels hommes