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bientôt avec un cavalier de Beni-Mouça, qui demandait un sauf-conduit pour les cheikhs, repartit encore et reparut avec les grands de la tribu ; ceux-ci, comme on devait s’y attendre, rejetèrent tout le mal sur les Kabyles qui les avaient forcés de prendre les armes, et, de son côté, le général Berthezène parut compatir à la violence qui leur avait été faite. A six heures du soir, la colonne reprit le chemin d’Alger.

Un bataillon laissé à la Ferme devait fournir l’escorte des voitures et des mulets de bât qui avaient apporté dans la journée des munitions et des vivres aux combattans. La nuit venue, un convoi d’artillerie, conduit par le lieutenant-colonel Admirault, cheminait sous la protection de deux compagnies du 30e, quand, aux environs de Birkhadem, dans un passage difficile, encombré de broussailles, il fut attaqué brusquement ; l’escorte effrayée lâcha pied ; un des officiers d’infanterie, perdant la tête, fit tourner bride aux dernières voitures et les ramena toujours courant à la Ferme. Heureusement les canonniers, vigoureusement enlevés par leur colonel, ne se laissèrent ni entamer ni arrêter ; ils passèrent.

Le 19, tout paraissait fini ; le prince de Joinville, accompagné du général Berthezène, put visiter Alger ; le lendemain matin, il vit dans la plaine de Moustafa une partie des troupes, et dans la journée il reprit la mer. Rien n’était fini cependant, ou plutôt c’était, après la fin d’un acte, le commencement d’un autre. La surprise dont le convoi d’artillerie avait failli être victime ne s’était pas expliquée d’abord. Les contingens de Ben-Zamoun s’enfuyant en déroute à l’est, comment quelqu’un d’entre eux avait-il pu s’embusquer à l’ouest ? Le fait est que Ben-Zamoun ni les siens n’étaient pour rien dans cette affaire, et que c’était aux gens d’Oulid-bou-Mezrag qu’il fallait s’en prendre. Au moment où le premier disparaissait dans la coulisse, le second faisait son entrée en scène ; au camp de Sidi-Arzine succédait le bivouac de Bou-Farik ; mais que l’attaque vînt de l’un ou de l’autre, le théâtre de l’action ne cessait pas d’être aux alentours de la Ferme.

Des deux blockhaus qui en dépendaient, celui du nord était dégagé ; celui du sud, au-dessus de l’Oued Kerma, investi d’abord par les Kabyles, l’était maintenant par les Arabes. Vingt hommes s’y trouvaient enfermés, sous le commandement d’un officier, le lieutenant Rouillard, dont l’énergie, l’intelligence et le sang-froid méritèrent l’estime de ses chefs et la sympathie de l’armée. Isolé pendant trois jours et trois nuits, comme un îlot au milieu d’une mer démontée, il eut à soutenir des assauts furieux. Plusieurs fois la redoute qui environnait le blockhaus fut envahie ; à coups de yatagan, les Arabes, admirables d’intrépidité, s’efforçaient d’en déchirer les planches ; heureusement l’idée ne leur vint pas d’y