Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/525

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seule vue de son avant-garde, l’ennemi n’attendit pas l’arrivée de la colonne ; il se replia de l’autre côté de l’Harrach.

Ce même jour, le prince de Joinville, qui, à l’âge de treize ans, commençait son noviciat à bord de la frégate Artémise, mouillait en rade ; le lendemain matin, il devait descendre à terre. Le 18, de très bonne beure, il y avait donc foule à la Marine ; les troupes en grande tenue attendaient sous les armes, lorsqu’on entendit au loin gronder le canon. C’était encore fête ; ce n’était plus le même saint. Les bataillons, firent demi-tour, reprirent la tenue de campagne et marchèrent au combat. Le jeune prince, aurait bien voulu qu’on lui permît de débarquer et de les suivre ; mais le commandant Hernoux et les officiers qui avaient charge de sa personne s’y refusèrent. La colonne qui venait au secours du 30e réparti entre la Ferme, les blockhaus et la Maison-Carrée, se composait des zouaves, du 20e, de bataillons détachés des 15e, 28e et 67e, des chasseurs français et algériens, et d’une batterie de campagne ; l’ensemble, à cause des maladies, ne dépassait pas trois mille hommes.

Depuis l’aube, la Ferme était investie, depuis dix heures, l’attaque violente. Les Kabyles avaient mis le feu aux meules de foin et de paille, les premières que des mains européennes eussent élevées librement sur la terre africaine. Il était deux heures quand la tête de la colonne fut aperçue vers le nord, au sommet des collines ; aussitôt le colonel d’Arlange, du 30e, fit une sortie vigoureuse qui, de ce côté-là, rompit l’investissement. Menacés d’être pris entre deux feux, les Kabyles, sans cesser de tirailler, se rapprochèrent de l’Harrach. En les suivant de près, il eût été facile de les culbuter dans la rivière et d’arriver avec eux dans leur camp ; mais il y avait un bataillon du 20e qui était de deux kilomètres en arrière. A ceux de ses officiers qui le pressaient d’agir le général Berthezène répondait : « Je veux réunir toutes mes forces, je ne veux pas faire une école. » S’apercevant qu’il n’était pas suivi, l’ennemi reprit l’offensive. On vit un vieux marabout, qui, au dire des indigènes, n’avait pas moins de cent dix ans, s’avancer, monté sur un âne, bénissant les fidèles, maudissant les roumi ; un boulet vint qui décapita sa monture et brisa les jambes de l’Arabe qui le conduisait ; cet coup funeste, lui fit reconnaître et avouer que Dieu, pour ce jour-là, refusait la victoire à ses saints. Quand il plut enfin au commandant en chef de donner l’ordre de marcher en avant, le moment favorable était passé. De l’autre côté de l’Harrach, on voyait une grande agitation ; les tentes étaient repliées, les bagages chargés sur les chameaux ; les premières troupes arrivées ne trouvèrent plus du campement que la place. Après la halte, au moment du retour, le capitaine Jusuf se fit fort d’amener au général en chef quelques Arabes de condition. Il partit seul, revint