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d’une course de chars. Une longue et étroite plate-forme, nommée la spina (l’épine), s’élevait dans l’axe de l’Hippodrome, divisant l’arène en une double piste. Sur la spina se dressaient l’obélisque apporté de la Haute-Egypte par Théodose, et la colonne d’airain formée de trois serpens enlacés. Cette colonne, qui portait naguère à son sommet le trépied d’or d’Apollon, avait été érigée à Delphes par les Grecs alliés en commémoration de la défaite des Perses. — C’est avec une sainte émotion que nous nous sommes approché, dans l’At-Meidan de Constantinople, de la colonne Serpentine, cet antique monument qui rappelle la plus utile victoire qu’ait jamais remportée la civilisation sur la barbarie et qui marque la date de l’avènement du génie grec.

Une autre merveille de Byzance, c’étaient les thermes du Zeuxippe. Christodore de Coptos a consacré un poème entier à la seule description des statues prises à Borne, à Athènes, à Olympie, à Corinthe, en Asie-Mineure, qu’on y avait réunies. Toute la Grèce antique revivait là dans les marbres et dans les bronzes des grands maîtres : la religion, avec Apollon, Athéné, Zeus et la radieuse théorie des Olympiens ; la légende, avec Hélène, Achille, Andromaque, Calchas, Amphiaraus ; la politique et la guerre, avec Thémistocle, Périclès, Alcibiade, Alexandre ; l’éloquence et l’histoire, avec Eschine, Démosthène, Hérodote, Thucydide ; la poésie et la philosophie, avec Homère, Pindare, Pythagore, Platon et Aristote.

Constantinople alliait au brillant éclat d’une ville neuve les grands souvenirs des antiques cités. Les mosaïques, les émaux, les ivoires, les plaques d’or, les porphyres, les lapis, les gemmes, les pierres précieuses qui forment l’éblouissante décoration des monumens byzantins, y servaient de cadre aux plus beaux chefs-d’œuvre de l’art grec. D’autres contrastes frappaient le regard quand on détournait les yeux des édifices et des statues pour les porter sur la foule qui emplissait les rues, sénateurs drapés dans la toge antique et ducs des confins militaires portant l’ample chlamyde et la tunique de soie brochée de figures, cataphractaires tout couverts de mailles de fer et scholaires de la garde cuirassés d’or, clarissimes en lacernes à franges et à médaillons brodés, et artisans ayant encore, comme aux temps des républiques d’Athènes et de Rome, la tunique brune sans manches. Aussi peuplée que l’avait été Rome, Constantinople avait, outre son immense population indigène, une population flottante considérable. Le monde entier affluait à Byzance. De toutes les parties de l’empire, de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique, accouraient les marins, les marchands, les mercenaires, les manœuvres, les solliciteurs, les plaideurs, les curieux, les jeunes gens en quête d’engagement militaire. On voyait tous les costumes et tous les types ethniques : la longue