Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/619

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perfides du soleil à la tempête. Cette après-midi-là rappelait le printemps, l’air était doux et humide, et les bourgeons des saules s’y trompaient jusqu’à se gonfler quelque peu, tandis que le gazon, loin de se flétrir, semblait avoir pris une verdure nouvelle. Vraiment c’était comme un sursis accordé par l’hiver…

« La nuit épaisse qui accompagne de bonne heure cette température hors de saison avait interrompu les plaisirs de la journée, quand une jeune femme portant un enfant dans ses bras quitta la grand’route pour prendre le sentier qui conduit vers le sud, à travers les champs et les pâturages. Elle semblait sûre de son chemin et le suivait sans hésiter, quoiqu’il fût facile à une personne étrangère au pays d’en perdre la trace, car tantôt il disparaissait sous les fougères, tantôt il était coupé par des buissons de laurier, ou bien encore il s’égarait parmi les plus de petite taille, dont l’ombre noircissait l’obscurité. Elle s’arrêtait parfois pour se reposer et reprenait sa marche avec plus d’effort, mais toujours sans faiblir, comme si elle eût craint d’arriver trop tard à l’endroit qu’elle cherchait. L’enfant endormi paraissait un trop lourd fardeau pour une femme aussi délicate.

« Après quelque temps, le sentier déboucha dans un pays plus découvert : il y avait à gravir une colline basse ; au sommet, la frêle créature s’arrêta hors d’haleine, la tête penchée vers l’enfant, tandis que sa silhouette se profilait debout sur le ciel assombri. On avait autrefois dressé à cette place qui dominait toute la campagne environnante des ouvrages en terre contre les Indiens. La voyageuse s’assit sur ce qui restait d’un mur de défense écroulé, sans crainte apparemment de l’humidité froide qui commençait à se répandre et la faisait frissonner. L’enfant sur ses genoux, elle se berçait de droite à gauche avec une expression de morne et inconsolable désespoir. Il s’éveilla, le pauvret, il se mit à pleurer, surpris, effrayé peut-être de se trouver dans ce lieu inconnu et abandonné. Pour le calmer, elle reprit sa marche. Au pied de la colline il y avait un ruisseau qui, grossi par les pluies, roulait avec fracas dans l’herbage paisible, comme s’il eût protesté tout haut contre une mortelle injure, contre un souvenir douloureux. Ce fut vers lui d’abord que se dirigea la jeune femme, en suivant pour cela un petit talus, tout ce qui restait du chemin couvert qui avait conduit de la garnison à la source jaillissante au-dessous. Si l’idée lui était venue d’étancher sa soif, elle y renonça, car soudain, tournant à droite, elle suivit quelque temps le ruisseau, puis remonta vers les hauts plateaux qui, sous la clarté du soleil, montrent leurs prairies d’une belle verdure lisse et brillante, avec un pommier moussu çà et là, ou la cave ruinée d’une ferme depuis longtemps détruite.

« Il faisait tout à fait nuit maintenant ; l’année était trop avancée