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pour que le cri d’aucun insecte troublât le silence ; l’air soulevé qu’on ne pouvait guère appeler du vent, agitait alentour ses vagues lentes, et quelques feuilles sèches frémirent sur une vieille aubépine qui poussait près du creux où s’était autrefois blottie la maison. Des bruits étouffés venaient de la rivière. Tout le paysage semblait assoupi dans les ténèbres, mais l’abandonnée ne se souciait pas qu’on lui tint compagnie, elle acceptait que le monde dormît et n’eût rien à lui dire ; cela convenait à son humeur ; il semblait qu’elle fût le seul être vivant. De ce côté de la rivière, il y avait un cimetière, champ de mort primitif où les tombes n’étaient marquées que par de grosses pierres, et où l’herbe tondue par les brebis s’étendait sur des générations éteintes de fermiers. En plein jour, ce cimetière avait la libre vue des bois de plus et de l’eau courante et rien ne lui dérobait le ciel ; mais maintenant, on eût dit une prison murée par la nuit. Malgré tout l’empressement fiévreux que la pauvre femme avait mis à atteindre cette place, et quel que fût le but qui lui avait fait chercher le bord de la rivière, elle s’arrêta une minute indécise : — Non ! Non ! gémit l’enfant dans son sommeil. — À cette voix plaintive, elle frémit et s’élança en avant, puis ses pieds ayant buté contre une tombe, elle se détourna et prit la fuite. La malheureuse n’était plus seule, il lui semblait qu’une légion de fantômes errans à la faveur des ténèbres eût découvert sa présence indiscrète, et qu’en lui donnant la chasse, ce troupeau fantastique l’attaquât de tous côtés. Comme elle se précipitait maintenant vers la lumière de plus en plus distincte qui avait brillé derrière elle tout le long de son chemin ! Comme elle avait hâte de le rejoindre, ce feu encore lointain d’une ferme ! Ne l’appelait-il point ? ..

« Une terreur sans nom lui prêta des forces surnaturelles. Telle qu’un animal traqué, elle revint éperdument sur ses pas. Toutes les histoires terrifiantes qu’elle avait entendues jadis à propos de ce lugubre voisinage surgissaient dans sa mémoire. L’enfant criait, mais elle n’était plus capable de répondre à ses pleurs. Bien des fois, elle tomba brisée, à bout de souffle, et la dernière fois elle ne put se relever. Lentement, péniblement, en s’y reprenant avec peine, elle rampa sur le sol, de plus en plus près à chaque effort de la lumière qui scintillait sous l’ombre du toit avancé. Son unique désir était de l’atteindre ; la peur de ses ennemis fantastiques s’était dissipée, elle voulait toucher ce seuil, voilà tout, et quand elle y réussit enfin, quand elle eut embrassé le bord de la marche usée où se cramponnèrent ses deux mains, elle poussa un long soupir, laissa échapper l’enfant, et resta là, gisante, immobile ! .. » Naturellement le lecteur est impatient de savoir quel remords, quel désespoir a porté cette infortunée d’abord vers la rivière, puis, par une subite réaction, vers l’abri de son enfance, depuis