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différence qui existe entre un village et le monde, où, de fait, elle commence à prendre son essor, tout au moins en esprit.

Il est curieux, assurément, de suivre pas à pas les progrès de la nature intellectuelle et morale à mesure qu’elle croit, comme un arbuste se développe, avec ses périodes de repos et ses élans soudains, les actes et les œuvres représentant ces signes de vitalité qui, chez la plante, s’appellent fleurs et feuillage, mais l’observation minutieuse ne suffit pas à donner de l’intérêt à un roman. Le roman n’a rien de commun avec un ouvrage de morale, d’éducation ou de psychologie pure. La froideur est son plus grand défaut ; en vain y entasse-t-on de nombreux personnages secondaires qu’aucun lien solide ne rattache au sujet : ce n’est qu’un défaut de plus. Dans la vie, bien des figures passent ainsi sur notre chemin pour disparaître en laissant, cependant, une trace de leur influence. N’importe ! encore une fois, la réalité poétique est soumise à des règles qui ne seront jamais saisies par les soi-disant romanciers dont le talent a des prétentions scientifiques.

Un instant, nous pouvons croire que Nan, après quelques années de pension, alors qu’elle arrive à l’âge où l’imagination ouvre ses ailes, où l’inconnu commence à tenter les jeunes filles, va sentir une lutte s’engager au fond d’elle-même. Le moi impétueux qu’elle tient de sa mère combattra sans doute les résolutions que lui a suggérées l’exemple, puissant en nous à l’égal de l’hérédité, dont il est question peut-être un peu trop souvent dans ce livre. Elle rêve, elle languit, elle parait s’ennuyer, elle accumule les expériences nouvelles et ne s’arrête à rien ; souvent, lancée au galop sur un cheval de ferme, elle cherche dans ce violent exercice un moyen d’échapper au trouble de son âme. Il n’y a plus lieu de l’appeler le petit docteur, car elle ne semble plus porter aux livres de médecine feuilletés au hasard cet intérêt enfantin qui naguère faisait sourire son vieil ami. On remarque chez elle plus de réserve ; elle néglige les travaux du ménage. Le docteur s’inquiète de ce quelque chose auquel aspire son enfant d’adoption, un quelque chose qu’il est peut-être hors d’état de lui donner. Mais non, par malheur, car il nous faudrait absolument un peu d’imprévu, Nan ne sera pas un seul instant distraite de la vocation qui la tourmente et qui se trahit par ces symptômes bizarres, inséparables du choix d’un état. Si rien ne la satisfait plus, c’est que le temps est venu de donner une forme réelle à son rêve et qu’elle a peur de n’être point encouragée au moment d’agir, quelque indulgence qu’ait une fois témoignée son tuteur pour ce qu’il taxait peut-être d’enfantillage. Il n’a pas désapprouvé depuis qu’elle apprit la botanique, le latin, un peu de chimie, mais de là, vraiment, à devenir étudiante en médecine, il y a loin. Nan hasarde sa confession