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en tremblant, en rougissant comme une autre risquerait l’aveu d’un amour coupable. Le quelque chose qui appelle toutes ses aspirations et qui la dégoûte du reste, le grand, le périlleux quelque chose que sa mère a poursuivi dans les aventures de l’ambition mondaine et d’un amour imprudent, c’est pour elle la science, et d’abord le besoin d’être utile. Elle ne pouvait supporter l’idée de ne rien faire, même au temps où elle se croyait riche, et maintenant elle sait qu’elle doit tout au docteur : ces armes qu’il lui a mises dans la main, il faut qu’elle s’en serve : rien ne la tente que le combat pour l’existence. Elle avait bien pensé à l’enseignement, à une carrière qui choque moins les usages reçus, mais être enfermée entre quatre murs d’un bout de la semaine à l’autre, elle en mourrait.

Ainsi, comme le souhaitait son tuteur, les choses sont venues d’elles-mêmes, en suivant leur cours naturel. Nan ne se fait pas d’illusion sur les difficultés à vaincre : elle est prête, elle a les sentimens d’un réformateur, d’un radical en face de la tâche qui l’attend, elle fait face à l’orage, elle en est d’avance enivrée.

Le docteur l’apaise un peu en lui disant : — Je vous enseignerai ce que je sais, tant que vous aurez le désir d’apprendre. Je crois à vos aptitudes plus que vous n’y croyez vous-même. Essayons. En tout cas, vous trouverez du bonheur, pendant les années qui vont s’ouvrir, à travailler selon vos goûts.

— Il y aura beaucoup d’obstacles, dit Nan pensive.

— Des obstacles ! Parbleu ! Vous entreprenez de gravir à vos risques une haute montagne en commençant l’étude de la médecine ou de n’importe quelle autre branche du savoir humain. Et si vous avez peur, il y a peu de chances pour que vous atteigniez le sommet. Mais le devoir même, mon enfant, le devoir pur et simple, deviendrait impraticable si l’on s’arrêtait à compter les raisons qui le rendent difficile. Ne vous ai-je pas raconté plus d’une fois ce que me dit un vieux quaker très habile dans l’art de gagner de l’argent et à qui je demandais conseil pour mes affaires : — Ami, ta propre opinion est la meilleure. Si tu consultes dix personnes différentes, elles te répondront dix choses différentes aussi et tu te trouveras moins avancé qu’auparavant. — Je veux que vous soyez une honnête femme, petite Nan, et un être utile. C’est voler que de vivre dans le monde sans rien essayer pour le rendre meilleur. Vous l’avez compris, vous vous êtes interrogée sérieusement. Allez droit de l’avant sans vous inquiéter de ce qu’on pensera. Il n’y a de honte qu’à laisser se perdre les dons que Dieu nous prodigue. Je vous aiderai de mon mieux, et si jamais vous regrettez ce que vous m’avez dit, vous ne vous serez fait du moins aucun mal en apprenant à veiller sur votre santé, sur celle de vos proches.