Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme lui, mais avec des intentions toutes filiales, le désir de se rendre agréable à cette intelligente personne, la reine de la société de Dunport, fort considérée, faisant partout la loi.

Les ancêtres de miss Prince, capitaines au long cours, appartenaient aux familles coloniales les plus distinguées et elle ne permet pas qu’on l’oublie. Sa maison, remplie de curiosités, souvenirs des lointaines traversées, donne sur la mer ; elle aime, les yeux fixés à l’horizon, se rappeler les retours du navire paternel ou le premier voyage plein de promesses de son frère Jack, qui ensuite, hélas ! a jeté tant de honte sur la famille. Un jour, sa méditation est interrompue par l’arrivée d’une lettre dont la lecture fait passer son visage d’une pâleur mortelle au rouge empourpré.

« Ma chère tante, je ne puis croire qu’il soit juste que nous ne nous connaissions pas. Mon désir est d’aller passer à Dunport une journée le mois prochain ; mais si vous préférez ne pas me voir, un mot, je ne vous importunerai plus.


« A vous,

« ANNA PRINCE. »


On devine ce qui suit : l’émotion de la tante, son consentement immédiat sous une forme froide et réservée (ces puritaines de la meilleure société ne se livrent pas vite ; d’ailleurs miss Prince a encore des préventions), enfin l’arrivée de Nan et ses rapides conquêtes. La tante, émue de sa ressemblance avec Jack, se met à fondre en larmes.

— Elle ramène le passé ! soupire le capitaine Walter Parish, un vieux cousin qui l’adore à première vue, — et George Gerry tombe amoureux, cela va sans dire. Quelle satisfaction éprouve l’altière miss Prince à conduire partout cette nièce, d’une élégance si naturelle, d’une tenue si correcte, qui a les sentimens le langage, les manières d’une fille bien née, quoiqu’elle ait été élevée par les parens et les amis de sa détestable mère !

Du reste, ces amis méconnus, Nan les pose dès le premier moment sous le jour qui convient. Elle est vaillante, elle est franche, elle ne se laisse pas gagner plus qu’il ne faut par les gâteries et les caresses dont on la comble. Sa tante lui inspire du respect, de la reconnaissance, mais jamais elle n’acceptera de rester sous son aile ; à la première ouverture, elle répond en déclarant ses projets. Stupeur de miss Prince, qui se dit qu’un vieux médecin de campagne aux trois quarts fou tourne la tête de sa nièce. Quant à George Gerry, il refuse de croire qu’elle soit tentée tout de bon par les chimères disgracieuses qu’il faut laisser aux laides, aux déshéritées, à celles qu’on n’aime point et qui prennent ainsi, faute de mieux, la