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« Il ne faut pas croire que les rues de Gheel et les campagnes soient couvertes d’aliénés ; on n’en rencontre qu’un petit nombre ; familiarisés avec ces infortunés, les Gheelois les rencontrent avec indifférence ; jamais les aliénés ne sont l’objet de la curiosité des grandes personnes, des agaceries des enfans, ni de la clameur publique ; s’ils excitent quelques rixes dans les cabarets où l’on a l’imprudence de leur donner des liqueurs enivrantes, elles sont bientôt apaisées ; si, chez leur hôte, ils se livrent à quelque violence, elle est bientôt réprimée ; les voisins s’empressent d’assister ceux de leurs concitoyens qui sont aux prises avec un aliéné, et les Gheelois ont une telle habitude qu’ils ne redoutent pas les plus furieux et les conduisent comme des enfans. Quoique libres, ces malades ne sont jamais l’occasion d’accidens graves pour les femmes enceintes ni pour les enfans du pays, et les habitans vivent au milieu d’eux dans la sécurité la plus parfaite. »

Tel fut le passé. Venons-en au présent.

Gheel est situé à peu de distance d’Anvers, à l’est de cette ville. Une station de chemin de fer le dessert depuis quelques années. Chef-lieu de la province de la Campine, Gheel renferme environ 5,000 habitans, mais le territoire qui en dépend, tant au point de vue de l’administration communale qu’au point de vue de la superficie sur laquelle s’exerce l’autorité de l’administration des aliénés, en renferme en outre 6,000 : ces 11,000 habitans occupent une superficie de 10,853 hectares. Sur une telle étendue il est aisé d’éparpiller 1,600 aliénés sans qu’ils soient en contact fréquent les uns avec les autres. De nombreux hameaux dépendent de Gheel, et comme lui reçoivent les aliénés ; six d’entre eux possèdent une église paroissiale.

A quels règlemens sont soumis les aliénés ; comment emploient-ils leur temps ? L’article 17 du règlement de 1882 porte que Gheel reçoit les aliénés de toutes catégories « sauf ceux à l’égard desquels il faut employer avec continuité les moyens de contrainte et de coercition, les aliénés suicides, homicides et incendiaires, ceux dont les évasions auraient été fréquentes ou dont les affections seraient de nature à troubler la tranquillité ou à blesser la décence publique, » Cet article exclut donc les aliénés dangereux, avec raison. Quand on considère les crimes quelles aliénés homicides arrivent à, commettre dans les asiles fermés, où pourtant la surveillance et la contrainte se trouvent exercées au maximum, on comprend qu’il serait impossible d’admettre d’aussi dangereux malades à jouir de la liberté qui règne à Gheel. Ajoutons du reste que cette catégorie d’aliénés n’est pas nombreuse. Peut donc être admis à Gheel tout aliéné tranquille. Ce mot de tranquille n’exclut pas la possibilité