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Hugon avait appareillé de Toulon pour se rendre aux lies d’Hyères : elle fut, en quelques instans, dispersée, et il fallut attendre plus d’un mois pour la revoir. Plusieurs des vaisseaux qui la composaient se trouvèrent en sérieux péril ; la tempête les poussa jusqu’à la pointe méridionale de la Sardaigne. Les golfes de Palmes et de Cagliari les recueillirent. Si des vaisseaux de haut-bord ont pu être ainsi malmenés par la tourmente, jugez de l’émoi d’une flotte de galères, quand un coup de vent soudain, un coup de vent imprévu, l’arrachait au rivage !

En 1567, les Maures de Grenade se révoltèrent : le roi Philippe II jugea nécessaire d’appeler en Espagne une partie des troupes qui servaient en Italie. Le grand commandeur de Castille, don Luiz de Requesens, fut envoyé à Gênes avec vingt-quatre galères, pour y prendre un corps espagnol détaché des garnisons du Piémont[1]. Chaque galère embarqua cent cinquante soldats. En partant de Gênes, don Luiz fait route pour Savone et Villefranche, se rend de sa personne à Nice pour y entendre la messe, puis continue, sans plus de délai, son chemin. Le dimanche de Pâques, il passe en vue des îles d’Hyères, jette un pied d’ancre sous le cap Sepet, fait communier tout son monde et remet sous voiles. Arrivé le soir même en rade de Pomègue, il croit qu’il n’a qu’à se présenter pour que la chaîne de la darse s’abaisse devant lui : on n’entre pas dans le port de Marseille avant d’avoir salué la ville. La sommation ne rencontre qu’un refus hautain. Le grand commandeur ne saluera pas. À sa guise ! Mais alors qu’il s’éloigne, ou le canon des forts ne tardera pas à l’y obliger. L’escadre espagnole prend le parti de rester en rade. Huit jours se passent : le neuvième jour, on voit venir du côté de l’Espagne une masse de vaisseaux ; don Luiz de Requesens se porte à la hauteur des îles pour reconnaître cette escadre. Les vaisseaux filent comme une flèche dans la direction du Levant : ce sont les vaisseaux de Jean-André Doria. Comment ! les vaisseaux de Doria tiennent la mer, et ceux du roi d’Espagne resteraient au port ! Requesens ordonne au patron de la capitane de tout disposer pour l’appareillage. Des vingt-quatre galères rangées sous les ordres du grand-commandeur de Castille, dix appartenaient au grand-duc de Toscane. Le commandant de cette division, Alphonse d’Aragona, frère de Jacques d’Aragona, seigneur de Piombino[2].

  1. Le Memorie di un uomo da remo (1565-1576). Manuscrit de la bibliothèque de Venise, publié par M. Vocchi. Roma, 1884 ; Forzani.
  2. « Vers l’année 1390, nous raconte de Thou, un certain Jacques Appiani, ainsi, appelé d’un village de ce nom dans le territoire de Pise, massacra Pierre Gambacorte, tyran de cette ville, ainsi que ses enfans. Soutenu des Siennois et de Galéas Visconti, il rendit ce dernier maître de Pise. Visconti lui donna en échange la ville de Piombino. Telle fut l’origine de la maison des Appiani. Jacques eut pour successeurs : Gérard son fils, Jacques II, Emmanuel, Jacques III, Jacques IV et Jacques V qui mourut en 1548, ne laissant qu’un fils en bas âge. » Ce fils prit le nom de Jacques VI : après bien des traverses, la principauté de Piombino lui fut, en 1557, assurée par le roi d’Espagne, Philippe II. Attaché à la fortune des ducs de Toscane, Jacques VI vécut la plupart du temps à la cour de Florence. Cosme de Médicis voulait alors se donner une marine : en 1560, il créa sur le modèle de l’ordre de Malte l’ordre religieux et militaire de Saint-Élienne ; en 1564, il nommait Jacques VI capitaine-général de ses galères. Don Alfonso Appiani d’Aragona, chevalier de Saint-Étienne depuis l’année 1563, fut d’abord le lieutenant de son frère Jacques VI. Il lui succéda dans le commandement des galères de Toscane, quand Jacques VI, combattant en 1508 contre les Turcs, eut été grièvement blessé.