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s’embarque dans sa frégate[1] et, fort alarmé par les préparatifs de départ qu’il voit faire, se rend à bord de la galère du général. « Excellence, dit-il à Requesens, ce n’est pas un temps à mettre sous voiles. Si nous étions en mer, nous n’aurions qu’à chercher au plus vite un abri. — Doria fait route, réplique Requesens ; c’est une honte pour nous de demeurer au mouillage. » La situation des deux flottes pourtant n’est pas la même : Doria fait route à l’est et la flotte de Philippe II aurait à traverser dans un sens contraire le golfe de Lyon. Toutes les objections sont inutiles : rien n’ébranlera la résolution de l’opiniâtre commandeur, cruellement blessé, dans son orgueil. « Les galères de mon maître, Son Altesse sérénissime le grand-duc de Toscane, ont été mises au service de Sa Majesté le roi Philippe, dit avec fermeté Alphonse d’Aragona ; je ne puis m’opposer à la volonté de Votre Excellence. Dans ce voyage, vous êtes mon supérieur et je suis entièrement dévoué au roi. Il était de mon devoir de vous faire observer que le temps n’est pas favorable ; maintenant que Votre Excellence agisse comme il lui plaira ! S’il résulte de sa décision quelque dommage pour la flotte du grand-duc, c’est à vous que le grand-duc devra s’en prendre. — Je veux partir ! » répète obstinément le commandeur : on ne tirera pas de lui autre chose. Don Alphonse retourne à son bord ; Requesens fait incontinent sonner la trompette et incontinent aussi lever l’ancre. Les autres galères imitent, bon gré mal gré, la manœuvre de la capitane. Toute la flotte a sarpé le fer ; toute la flotte est bientôt en marche. On vogue ainsi pendant près d’une heure pour sortir du golfe. Il restait un secret espoir à l’amiral toscan. « Quand le commandeur, se disait-il, verra plus clairement le temps qui règne au large, il n’hésitera sûrement pas à revenir au mouillage. » Don Alphonse connaissait vraiment bien l’entêté ! On n’était pas à un mille de l’entrée de la rade que Requesens donne l’ordre de lever rames et de déployer la boufette. Alphonse, plus inquiet que jamais, veut tenter un dernier effort. Il s’approche de la capitane : « Seigneur, fait-il crier à Requesens par son patron le vieux Tira-gallo, marin consommé dont toute la flotte est habituée à

  1. La frégate était, dans les escadres de galères, un petit navire à rames.