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d’imposer silence à ses canons : les faibles avantages qu’il pourrait se promettre d’un tir rendu bien incertain par la rapidité avec laquelle varie la distance, ne sauraient compenser les inconvéniens du nuage de fumée qui viendrait l’envelopper à cet instant suprême où le salut dépend de la précision de la manœuvre. »


VI

Les galères de Malte furent, pendant longtemps, la grande école de guerre de notre marine : il suffira de rappeler qu’elles nous ont donné Tourville. Je suis convaincu qu’aujourd’hui même ce ne serait pas pour un futur amiral perdre son temps que d’aller faire, avec M. de Romegas ou M. Durand de Villegaignon, une campagne de course dans l’Archipel. Il apprendrait là comment se pratiquent les abordages : « Les combats des galères, remarquait avec un juste orgueil l’éminent écrivain qui s’entendait si bien à soutenir la cause des bâtimens à rames[1], ne se font pas simplement à coups de canon. On ne fait, en s’abordant, qu’une seule décharge, puis on combat sur-le-champ à coups d’épée ou d’esponton et avec des grenades. On a, de cette manière, plusieurs retranchemens à forcer avant qu’on puisse se rendre maître d’une galère. Pour peu qu’on veuille se bien défendre de part et d’autre, — ce qu’on est toujours obligé de faire lorsqu’il n’y a point de porte de derrière, — la perte de monde est toujours grande. »

La religion, — c’est ainsi que les chevaliers de Malte appelaient leur belliqueuse confrérie, — ne possédait plus au XVIIe siècle que sept galères. Nous avons tout lieu de croire, si l’on en juge par le rôle qu’un demi-siècle auparavant elles jouaient à Lépante, que ces sept galères étaient du moins des galères d’élite. La capitane était toujours peinte en noir ; les six autres recevaient une ou plusieurs couches de peinture rouge. On choisissait le général parmi les grand-croix, le capitaine parmi les chevaliers. Ce capitaine avait auprès de lui, prêt à le seconder, à le remplacer au besoin, un officier qui prenait le nom de patron. Les fonctions du patron étaient tout simplement celles d’un premier lieutenant, — du lieutenant en pied, disait-on, il y a quarante ans, sur nos vaisseaux. — Le patron devait avoir fait profession, c’est-à-dire avoir prononcé ses vœux. Il ne pouvait être pris dans les frères servans : ces frères occupaient un rang trop inférieur dans la religion. Si le capitaine venait à mourir hors de Malte, le patron se trouvait de droit appelé à lui succéder : les chevaliers auraient tenu à déshonneur d’obéir dans ce cas à un frère servant.

  1. Barras de La Penne.