Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/864

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la suppression radicale des épines ; au nom du goût public cet autre demande le renvoi au ministre des beaux-arts, parce que la feuille de la rose est découpée en nervures inégales ; un troisième prétend exagéré le nombre des pétales et sollicite une réduction ; un quatrième fait ressortir son peu de solidité. Ce que Dieu voyant, il prend un grand parti, prononce la dissolution de la chambre et décrète la création. Sans cette décision héroïque, nous marcherions peut-être à quatre pattes, et nous n’aurions ni la verdure, ni les fleurs, ni les oiseaux pour nous consoler du reste. En imaginant cette spirituelle boutade, son auteur songeait sans doute à certaine variété de parlementarisme bavard et impuissant, qui se consume lui-même dans un dédale d’ajournemens, de commissions, d’expédiens, obstinément attaché aux formes, à cette procédure tracassière qui fait disparaître le fond des questions sous l’inanité de la phrase, oublier le procès pour le plaidoyer, la cause pour l’orateur, le but pour le moyen. Sans doute le régime parlementaire au Canada a, lui aussi, de nombreux inconvéniens : la fonctionomanie y sévit avec âpreté, la chasse aux portefeuilles et aux places amène des calculs peu édifians et telle mesure qui eût réclamé une vigoureuse initiative, qu’un despote intelligent eût résolue en vingt-quatre heures, a subi d’interminables retards. En outre, nos esprits français, façonnés depuis des siècles au système unitaire et centralisateur, comprennent malaisément cette constitution bicéphale, cette reconnaissance officielle de deux races, ces discours prononcés successivement en anglais et en français dans la même assemblée, cet échafaudage de ministères et de parlemens qui parfois représentent des opinions diverses et se mettent en conflit. En présence de ce spectacle, nous éprouvons la même impression qu’en entrant dans une usine : les poulies qui grincent, les mille rouages qui vont en sens contraire et paraissent s’entrechoquer, les machines qui gémissent, ce tapage assourdissant, tout cet appareil bruyant, tumultueux, nous donnent la sensation d’une confusion universelle. Regardons-y de plus près, nous verrons que cet outillage de l’usine canadienne obéit à des directeurs expérimentés et que cette variété de ressorts ne nuit pas à l’harmonie de la machine : les résultats, cette pierre de touche des principes, leur donnent raison jusqu’à présent ; le régime parlementaire a servi de véhicule au progrès, à la liberté, il a appris aux Canadiens à faire leurs affaires eux-mêmes, car l’Angleterre n’exerce plus qu’une suzeraineté purement nominale, qui se manifeste par le maintien d’un seul régiment anglais à Halifax et l’envoi d’un gouverneur constitutionnel avec un traitement de 50,000 dollars pris sur le budget fédéral. Leurs luttes politiques sont ardentes, mais au fond, ces rouges et ces bleus, ces conservateurs et ces