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marchent d’un pas ferme sur les traces de Garneau et de l’abbé Ferland. Dans son livre sur la Mère Marie de l’Incarnation, l’abbé Casgrain a tracé un tableau très imagé des premiers temps de la colonie ; avec ses Canadiens de l’Ouest, M. Joseph Tassé, député au parlement fédéral, nous révèle ces hardis ancêtres, épris d’inconnu et de chimère, qui furent les pionniers du continent américain, qui, les premiers, ont pénétré dans les régions glacées du pôle, traversé les montagnes Rocheuses, foulé les plaines fertiles du Mexique. Beaucoup ne font que traverser la forêt vierge, sans plus s’y arrêter que l’oiseau sur le toit, mais à côté de ces éclaireurs, voici venir le grand colon, le fils du laboureur de l’ancienne France, qui manie aussi bien le fusil que le soc de la charrue et le pic du mineur. Voici Dubuque, qui le premier exploita dans l’Iowa des gisemens de plomb, et laissa son nom à une ville ; voici Aubry, le roi de la prairie, qui, en six jours, franchit au galop de sa fameuse jument Dolly trois cents lieues de pairies. Partout où ils se posent, ils font surgir des cités ; sans Beaulieu, Chicago n’existerait pas ; Salomon Juneau crée une ville de cent mille âmes ; Vital Guérin, fondateur de Saint-Joseph, capitale du Minnesota, lui consacre toute sa fortune et meurt sans laisser de quoi se faire enterrer : car, c’est un trait commun chez eux de détruire par leur prodigalité les fruits de leur génie et de tirer les marrons du feu pour des spéculateurs. Seuls ils aiment les Indiens et se font aimer d’eux ; ils servent de médiateurs entre eux et les longs couteaux ; Dubuque obtient ce qu’on n’avait jamais obtenu, il les décide à travailler aux mines. Plus loin, l’historien raconte avec humour les débuts politiques des états du Wisconsin, du Minnesota, du Michigan, les législateurs venant siéger en voitures à chiens, ou couchant dans la même chambre, car la capitale n’a qu’une seule maison ; ailleurs, c’est un rapporteur peu scrupuleux qui, voulant empêcher le vote d’une loi, disparait avec son dossier pendant toute la session. Quel panorama et quelle variété de paysages ! Quels hommes de fer que ces défricheurs de provinces qui estiment qu’on aura toujours le temps de se reposer dans l’éternité ! Leur histoire prend les proportions d’une légende ; en la racontant, M. Tassé a retrouvé une partie des titres de noblesse de la France dans le Nouveau-Monde, contribué à dissiper ce préjugé banal qui interdit à notre race le don de la colonisation. Pourquoi seulement faut-il que le spectacle de tant d’héroïsme rappelle la paraphrase sévère d’un mot célèbre : Gesta Anglorum per Francos ?

Le groupe des prosateurs, des romanciers s’augmente tous les jours. Un des meilleurs, sans contredit, est M. J.-C. Taché, auteur de trois légendes, dont chacune caractérise une époque de l’histoire