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La ville de Lyon seule en a pieusement gardé la tradition et n’a rien négligé pour lui conserver un semblant d’existence. On ne conteste pas que les efforts tentés dans ce dessein aient été jusqu’ici sans résultats ; que les quelques épaves de l’ancienne flottille qui risquent encore leurs carcasses démantelées dans le courant du Rhône exigent du commerce un fret souvent supérieur à celui des chemins de fer. On reconnaît que la navigation du Rhône n’existe pas en fait ; mais on persiste à vouloir en maintenir le principe, « pour obliger la compagnie du Paris-Lyon à abaisser ses tarifs ou l’empêcher de les relever, ce qu’elle ne manquerait pas de faire si la concurrence possible de la navigation venait à cesser. »

Ainsi entendue, la navigation du Rhône, de l’aveu de ses plus ardens défenseurs, n’est plus un engin de transport, mais un simple frein pesant sur les tarifs du chemin de fer. Ce n’est cependant pas en vue de ce résultat, uniquement négatif, que l’état pourrait s’être imposé tant de sacrifices. S’il n’eût voulu qu’empêcher le relèvement abusif des tarifs de la voie de fer, il eût certainement trouvé des moyens beaucoup plus efficaces et surtout moins coûteux.

Avant l’ouverture du chemin de fer, le Rhône était desservi par une batellerie nombreuse, et l’on n’y voit guère aujourd’hui d’autres transports que ceux qui servent au charroi des matériaux d’endiguement. Et cependant, dans cet intervalle, on n’a cessé d’engloutir des enrochemens dans le fleuve, sous prétexte d’en améliorer le cours. En ce moment encore, un crédit de près de 50 millions est affecté à cet usage, et rien ne garantit que cette nouvelle tentative aura plus de succès que les précédentes.

On a défini les rivières « des chemins qui marchent, » mais, dans un chemin considéré comme voie de transport, il est deux choses qu’on doit distinguer : la voie proprement dite et le moteur ou remorqueur. Comme voie de transport, les rivières naturelles, par leur faible pente, même celles dont le courant est le plus rapide, présentent sans aucun doute les plans inclinés de moindre déclivité qu’on puisse concevoir et pourraient être considérées comme des voies parfaites, si on ne les envisageait qu’au point de vue statique du bon aménagement des pentes. Mais, au point de vue de l’action dynamique du transport, le chemin marchant toujours dans la même sens, cette mobilité est un inconvénient considérable ; les avantages très limités à la descente étant loin de racheter les difficultés, les impossibilités même à la remonte.

Le levier est, en fait, l’élément essentiel de tous nos appareils de propulsion. Archimède n’en demandait pas davantage pour soulever le monde, à la condition d’avoir un appui fine et invariable. Celui que l’eau nous offre manque précisément de ces deux