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la situation avaient rendu plus vif l’espoir que l’on mettait en elle. Dans la population de Vaucouleurs et des villages voisins, dans l’entourage même de Robert, il n’y avait plus qu’un cri en faveur de celle que l’on considérait comme l’envoyée de Dieu.

A notre avis, les succès remportés par les Anglais devant Orléans, l’hommage exigé par Bedford pour le Barrois et peut-être aussi une clause restée inconnue de la capitulation conclue vers la fin de juillet 1428 avec Antoine de Vergy, sont les trois faits diversement mais également menaçans, sous l’influence desquels Baudricourt se décida enfin à prendre au sérieux la jeune inspirée de Domremy. Le premier de ces faits avait sans doute plus d’importance au point de vue de la politique générale ; mais le second constituait pour le capitaine de Vaucouleurs et aussi pour Jeanne un danger tout particulièrement actuel et local. La question de l’hommage devait intéresser d’autant plus vivement la Pucelle qu’elle tirait son origine d’un village dont une moitié seulement était située en France et dont l’autre moitié faisait partie du duché de Bar. Un autre village de ce même duché, Vouthon, avait vu naître la mère de Jeanne ; et nous apprenons par un document authentique que Jacquemin, l’aîné des enfans de Jacques d’Arc et d’Isabelle Romée, dite de Vouthon, y faisait sa résidence en 1425. Comment Jeanne ne se serait-elle pas émue à la pensée que ses compatriotes et ses plus proches parens étaient sur le point de devenir les sujets de l’envahisseur, que Domremy, son lieu natal, allait devenir une terre anglaise !

Un épisode trop peu remarqué jusqu’à ce jour, le voyage de la Pucelle à Nancy, doit se rattacher principalement à ces préoccupations. Selon toute vraisemblance, ce voyage avait été concerté entre Robert de Baudricourt et le jeune duc de Bar. Ce qui nous le fait croire, c’est que, précisément à la date où ce voyage eut lieu, nous voyons René d’Anjou quitter Saint-Mihiel, où il se trouvait alors, pour se rendre à Nancy auprès de son beau-père. Né le 10 janvier 1409, le duc de Bar venait d’atteindre sa vingtième année. Doué d’une imagination ardente et d’une nature généreuse, il était à l’âge où l’âme, encore candide, a le plus de penchant pour le merveilleux. Fils d’une reine supérieure par le génie politique à tous les princes de son temps, il devait plus que personne être prévenu en faveur du sexe auquel appartenait une telle mère. On comprend donc qu’il eût un très vif désir de voir cette merveilleuse jeune fille, dont la renommée commençait à se répandre ; il pensait peut-être que la Pucelle, en frappant fortement l’imagination de Charles II, vieillard superstitieux et crédule, pourrait l’aider à résister aux influences qui le poussaient à se faire le vassal de l’Angleterre. Toutefois, dans la crainte de se compromettre