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lui vivant, toute liberté d’exprimer leurs préférences et de lui redemander, s’ils le désiraient, le mandat qu’il tenait d’eux. Il eût été plus logique de ne pas le solliciter, mais il ne devait pas le conserver longtemps. Le 3 janvier 1874, il mourait après un règne de treize mois.

Une fois de plus le trône était vacant et l’assemblée appelée à procéder à une nouvelle élection. David Kalakaua se présentait. Les partisans de la reine Emma la décidèrent à se mettre sur les rangs. C’était une faute. Quels que fussent sa popularité et ses titres, son élection ne résolvait rien. Veuve sans enfans, décidée à ne pas se remarier, elle ne pouvait fonder une dynastie ni donner au pays des garanties d’avenir. David Kalakana était marié, assez jeune pour avoir des héritiers, à défaut desquels son frère pouvait lui succéder. Ces considérations militaient eu sa faveur et, dans l’assemblée, elles entraînaient la grande majorité. Au dehors, il n’en allait pas de même. La reine Emma était l’idole des clauses inférieures ; sa charité lui avait conquis tous les cœurs. Son règne leur apparaissait comme un millénium, un âge d’or, et leurs acclamations passionnées pour celle qu’ils appelaient la bonne reine, leurs objurgations violentes à l’adresse des membres de l’assemblée connus pour leurs sympathies en faveur de la candidature de David Kalakaua, faisaient redouter un mouvement populaire et des désordres graves.

On savait, en outre, que le gouvernement des Etats-Unis, désireux d’assurer à sa marine de guerre un port de ravitaillement dans l’Océan-Pacifique, avait offert au gouvernement havaïen de lui acheter, à l’embouchure de la rivière la Perle, à quelque distance de Honolulu, une zone de territoire pour y installer un dépôt de charbon et des magasins de vivres. La reine était hostile à ce projet, dans lequel elle voyait, avec raison, une menace pour l’avenir et un premier pas dans la voie de l’annexion. On affirmait, au contraire, que David Kalakaua était favorable à cette cession. Il n’en avait pas fallu davantage pour surexciter encore la population indigène, réveiller sa passion pour son autonomie et lui inspirer tout à coup une défiance profonde vis-à-vis de tous les résidens étrangers même de ceux qui, établis depuis de longues années dans l’archipel, s’étaient toujours montrés partisans déclarés de l’indépendance.

En réalité, aucun des deux candidats n’était en faveur de la cession d’une partie quelconque du territoire ; aucun d’eux, l’eût-il voulu, n’eût pu la faire accepter par la population ; rassemblée le savait : douée de plus de sens politique, elle écarta, dès le début, ces appréhensions aussi vaines que passionnées et élut, par 39 voix, David Kalakaua roi des îles Havaï ; 6 voix seulement se portèrent sur la reine Emma.