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était tenu en bon état, comme on l’apprend par les comptes des acteurs de Coventry ; c’est chaque jour : tant pour avoir raccommodé l’Enfer, repeint la tête d’Hérode, reprisé Pilate, mis à neuf les masques des personnages.

Il y avait de la terreur tragique dans ces représentations. Le moyen âge ne reculait jamais devant l’horreur, et la scène de Coventry présentait aux yeux la Mort toute décharnée et rongée de vers. Mais les scènes grotesques et plaisantes y trouvaient place aussi, comme dans le bizarre Mystère des bergers, qui fait penser à la farce de Pathelin. Il est peu douteux que les souvenirs de Shakspeare aient été peuplés de ces images aux vives couleurs. La troupe de Coventry dut passer à Stratford en se rendant à Bristol, en 1570, Mais aussi il a bien pu arriver que le gantier John et sa famille se soient transportés à Coventry pour jouir du spectacle qui faisait courir toute l’Angleterre. Quoi qu’il en soit, Shakspeare connut les Mystères ; les souvenirs qu’il en garda se tournèrent au comique : le nom d’Hérode, le terrible Hérode de la juiverie (Herod of Jewry) lui revient souvent aux lèvres, et, dans Hamlet, il forge un mot pour critiquer le jeu exagéré d’un acteur, et l’accuse de vouloir surhéroder Hérode. Ailleurs, une mouche posée sur le nez rubicond de l’ivrogne Bardolph lui rappelle les âmes noires dans les flammes de l’enfer.

Des spectacles, des cérémonies, des mascarades et des processions, telles étaient les seules fêtes de la vie dans une petite bourgade rurale. William dut en jouir comme tous les enfans. D’ailleurs, il n’eut pas la triste enfance des fils uniques : son frère Gilbert, sa sœur Jeanne, n’étaient guère plus jeunes que lui. Quoique élevé dans une ville, il eut les amusemens et la vie d’un enfant des champs. Tous les parens de son père et de sa mère cultivaient ; et le souci des saisons, les sains travaux de la terre, l’élève du bétail devaient tenir plus de place dans les propos de ce petit monde modeste que les mouvemens de la politique, ou même les querelles religieuses qui agitaient l’Angleterre. La société où se retrouvait l’enfant était d’abord celle de son oncle Henry Shakspeare ; il habitait une grande ferme auprès de Smitterfield, dont les ruines se voient encore, le long de la grand’route, à droite en quittant Stratford. Agnès Arden, la seconde femme de son aïeul maternel, vivait à Wilmecote ; Alexandre Webbe, frère d’Agnès Arden, était aussi des amis de la famille, puisqu’il nomme John Shakspeare dans son testament et le choisit pour exécuteur testamentaire. Puis c’étaient les Hill de Bearley, parens proches des Arden, les Lambert, de Barton-on-the-Heath, les Stringers de Bearley, les Etkyns de Wilmecote, tous fermiers et petits propriétaires.

L’enfant pouvait donc apprendre à aimer la nature et à connaître