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portrait, la statue équestre, la statue funéraire, rend à la peinture religieuse le caractère individuel des personnages et l’interprétation libre des sujets. Une vierge de Raphaël diffère autant d’une madone de Léonard que d’une madone d’Andrea del Sarto. L’ange de Botticelli, aux longs cheveux bouclés, ne se retrouve alors sous le pinceau de personne. Un ange, un saint, un docteur, un capitaine, un page apparaît dans un tableau, non que la légende ou l’édification pieuse l’y appelle, mais parce que son visage, son geste, la beauté de son vêtement complètent la vie harmonieuse de l’œuvre. On peut diviser en cinq ou six groupes la Dispute du saint-sacrement ou l’École d’Athènes, on peut en isoler chacune des figures ; ce qui demeurera sous nos yeux sera toujours un ouvrage achevé, une personne humaine qui, dans son cadre étroit, s’impose à nous par sa valeur propre.

Le rôle éminent de l’individu dans la poésie, l’histoire et l’art persiste dans la vie sociale. La société de la renaissance s’est formée autour de lui et à son image ; elle est le théâtre de sa fortune. L’ancienne hiérarchie a disparu de presque toute l’Italie. Les communes ont réduit les seigneurs à l’état de citoyens ; l’église donne des mitres et parfois la tiare aux plus humbles des chrétiens ; les nobles de Florence, de Venise, de Gênes, s’enrichissent par le commerce. Les classes sont nivelées partout, excepté dans le royaume de Naples, où la culture intellectuelle sera toujours médiocre. Le préjugé de la naissance s’est dissipé. Dante l’abolit dans son Convito ; Pétrarque écrit : Verus nobilis non nascitur, sed fit. Les humanistes affirment tous que le mérite de l’homme est non dans sa race, mais dans son esprit. « La chevalerie est morte », dit Sacchetti. L’Arioste le croyait aussi. Ce qui reste de cavalieri, de nobles, vit dans les villes, entre dans les magistratures, se mêle intimement au peuple. L’Italie princière voit s’élever une noblesse nouvelle : lettrés, artistes, courtisans, hommes de guerre, d’esprit ou d’argent. Ceux-ci, à leurs qualités personnelles ajoutent une recherche d’élégance, une politesse de mœurs sans lesquelles la vie commune perdrait de son charme. Une physionomie intéressante se dessine de plus en plus : celle de l’homme bien élevé, accompli en toutes choses, le cortigiano, qui, selon Castiglione, s’inquiète moins du service de son prince que de la perfection de sa propre personne, et, à la guerre, se bat moins par devoir que pour l’onore, pour se faire honneur. Ce virtuose parle une langue choisie, le pur toscan florentin ; il écrit le latin, est familier avec tous les jeux nobles : l’escrime, la danse, l’équitation, la musique, la paume ; il sait causer, sourire et se taire à propos dans le cercle des dames. Une société si polie devait, en effet, donner aux femmes le premier rang. Les