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beaucoup de ses contemporains nourris de rhétorique humanitaire, il manquait de sensibilité vraie, s’il fut dur aux chouans, impitoyable aux émigrés, Muscar ne l’était pas moins aux voleurs, et Dieu sait s’ils pullulaient en Vendée !

Il y en avait de toutes sortes et de toutes catégories ; de petits et de grands, de maigres et de repus. Les états-majors eux-mêmes en étaient infestés et donnaient l’exemple, rivalisant avec les fournisseurs, vivant dans le luxe et faisant, à qui mieux mieux, leurs mains sur le pays. De répression, naturellement, pas l’ombre ; le brigandage était trop général et trop en haut pour que les conseils militaires pussent ou osassent y atteindre. Quant aux autorités civiles, tout ce qu’elles pouvaient, c’était, quand on les écorchait par trop, de se plaindre à la convention.

« Vos généraux, lui mandait la société populaire de Nantes, ont fait de cette guerre une spéculation de commerce. La Vendée a été pour eux ce que fut jadis le Mexique pour les Espagnols. » — « Surtout, écrivaient d’autres, envoyez-nous des généraux qui aient déjà fait fortune et qui désirent la fin de la guerre. » (Archives de la guerre.)

El ainsi de suite ; de 1793 à 1796, la correspondance est pleine de ces doléances, auxquelles ni les ministres, tant qu’il y en eut, ni la convention, ni le directoire, ne purent jamais rien. Il eût fallu frapper trop de têtes, et surtout trop à la tête. Muscar, lui, n’était pas homme à se laisser arrêter par des considérations de cette sorte ; sa nature de sanglier le poussait droit à l’obstacle, quel qu’il fût ; une fois lancé, rien ne l’arrêtait. Tel nous venons de le voir avec Cœur-de-Lion, tel nous le retrouvons, un peu plus tard, en lutte avec un de ses chefs à propos d’un incident qui montre bien à quel degré de démoralisation étaient tombées les armées de la république à l’intérieur.

De tous les généraux employés dans l’Ouest, nul peut-être, après Hoche, n’avait rendu plus de services qu’Humbert, et, de nos jours encore, aucune réputation n’est demeurée plus populaire et plus intacte. L’histoire a reporté sur ce beau jeune homme un peu de la tendresse qu’elle a toujours eue pour son chef, et quand, pour l’idéaliser encore, la poésie s’est emparée de sa figure, elle ne lui a trouvé dans toute la création qu’une seule ressemblance, celle du roi des animaux. Qui n’a retenu les beaux vers du Lion amoureux, de Ponsard :


Ah ! si je m’en souviens de la vieille tour sombre
Et des droits féodaux embusqués dans son ombre !
Je m’en souviens ! De là sur nos toits ruinés
S’abattaient comme autant de corbeaux acharnés,