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d’incomparable et naturelle grandeur : nouveau titre à notre sympathie pour le musicien, qui, comme quelques-uns de nos grands classiques, a puisé dans sa foi ses plus belles inspirations.

Ce côté méditatif et profondément religieux du caractère de Bach, son existence sédentaire, sont deux traits physionomiques que réfléchit son œuvre. Elle ne reçoit du monde extérieur que de lointains reflets, la nature n’y laisse pas de trace ; en revanche, les plus secrets mouvemens de l’âme y sont rendus avec une profondeur d’expression inconnue jusque-là. Il faut bien vite ajouter que chez Sébastien Bach le croyant n’a jamais étouffé l’artiste. Ce vaste esprit ne se croit pas tenu d’emprisonner son inspiration dans la doctrine théologique. C’est l’amoindrir que de vouloir le confisquer au profit d’une secte religieuse. Du jour où des protestais ont cherché à faire de lui le représentant officiel du mysticisme orthodoxe, des catholiques ont immédiatement découvert dans sa musique la sécheresse dogmatique qu’ils reprochent à la réforme. M, Félix Grenier, dans la préface de sa traduction de Forkel, s’élève avec raison contre ces disputes confessionnelles à propos d’art. Mais s’il fallait absolument mettre le pied sur ce terrain étroit et brûlant, peut-être en viendrait-on assez vite à se convaincre que, même dans les cantates d’église, l’allure dramatique du style de Bach répond plutôt à l’esprit catholique qu’à l’idée qu’on se fait en général du rigorisme protestant.

Ces cantates sont une chose tellement à part, elles tiennent dans l’œuvre du maître une place si considérable qu’il faut bien s’y arrêter un peu. Dans les églises protestantes, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, la cantate, étant destinée aux exercices du culte, empruntait exclusivement ses paroles à la Bible ou à L’Évangile. Mais pendant le séjour de J.-S. Bach à Weimar, le pasteur Neumeister, versificateur distingué, entreprit de substituer au texte sacré des vers de sa composition, et Bach, séduit par cette innovation, s’empressa de mettre ses poèmes en musique. La cantate d’église devint ainsi une méditation religieuse appropriée aux différentes fêtes du rite luthérien. Ses strophes, de mètres variés, se prêtèrent aux diverses formes musicales du temps : airs, duos, récitatifs et chœurs, entre lesquels Bach intercale volontiers des intermèdes symphoniques. Les accablemens et la consolation de l’âme chrétienne relevée par la grâce, l’entretien du fidèle avec Dieu, la terreur de la mort, l’allégresse des élus, toutes les tristesses, toutes les effusions, toutes les délicatesses de la psychologie mystique s’y reflètent, et, dans cette peinture du cœur, Sébastien Bach est sans rival. Une fois condamnation passée sur l’abus des vocalises, sur la monotonie de la reprise obligée, on est subjugué par la grandeur du style,