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de la parure à laquelle appartiennent aussi le bandeau de tête et le carcan. Les manches, du même brocart que la robe, sont : coupées de crevés blancs épingles de perles à chaque bouillon. Ce costume est celui d’une reine, et il est surtout celui d’une honnête femme ; les perles, les rubis, les émeraudes y sont à profusion, et il semble modeste, tant il est porté avec bonne grâce et simplicité. Les petites mains, enfin, aux doigts fuselés et aux ongles roses, délicates de forme et de couleur délicieuse, complètent à ravir le charme de cette exquise peinture.

Au milieu de toutes les tristesses qu’il nous a fallu traverser avec Charles IX, la vue de cette bonne « petite reyne « laisse en nos cœurs une lueur réchauffante. Le portrait de Janet montre Elisabeth d’Autriche dans les premiers temps de son séjour en France. Tout semble lui sourire. Ruinés par la guerre civile, nous avons salué sa venue par des fêtes dans lesquelles l’or a été répandu à profusion. Les Allemands et les Espagnols étaient là qui accompagnaient la fiancée, nous avons voulu faire montre devant eux d’une richesse que nous n’avions plus. Puis, toutes les fusées éteintes, la jeune reine est entrée, sans y rien comprendre, dans cette cour hérissée d’întrigues. Catherine de Médicis, qui feignait de l’aimer, et Charles IX, qui la vénérait trop pour l’affectionner beaucoup, l’ont exclue de leur conseil et tenue à l’écart de toutes les affaires : ils ont eu peur de sa droiture, et elle n’a rien entrevu des horreurs qui étaient proches. Elle ne soupçonna rien de la Saint-Barthélemy. Le secret en avait été si bien gardé, qu’elle s’alla coucher comme à son ordinaire et n’apprit qu’à son réveil « le beau mystère qui se jouait. » « Hélas, dit-elle soudain, le roy, mon mari, le sçait-il ? — Ouy, madame, c’est, luy-même qui le fait faire. — O mon Dieu ! s’écria-t-elle, qu’est cecy ? et quels conseillers sont ceux-là qui luy ont donné tel advis ? Mon Dieu ! je te supplie et te requiers de luy vouloir pardonner ; car, si tu n’en as pitié, j’ay grand peur que cette offance soit mal pardonnable. » Et soudain demanda ses heures et se mit en oraison, et pria Dieu la larme à l’œil. Elle était grosse de sept mois et n’avait que dix-huit ans ; et voilà les malheurs qui s’accumulent et les illusions qui s’envolent. Elle redouble de patience et de douceur pour Charles IX, qui devient de plus en plus sombre, violent, emporté, et qui de plus en plus la délaisse. « Mais elle ne luy en fit jamais pire chère, ny ne luy en dict pire parolle, supportant patiemment sa petite jalousie et le larcin qu’il luy faisoit. » Charles IX l’appelait su sainte. Elle était sainte, en effet, et d’autant plus sainte que l’effacement et l’humilité faisaient partie de sa sainteté. Sa religion était grande, mais sans rien d’extérieur, « Elle estoit très dévote et nullement bigotte. » Ce n’est que par des indiscrétions de femmes de service qu’on sut les macérations et les