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exercices de piété surhumains auxquels elle se livrait, quand, enfermée dans ses rideaux, elle se croyait à l’abri de toute surprise. Plus les calamités publiques augmentaient, plus elle redoublait d’austérité. Il semblait qu’elle voulût prendre à son compte, afin de les racheter, les iniquités de tout un peuple. Aussi le peuple avait-il pour elle une sorte de culte. Quand le roi tomba malade, elle l’entoura des soins les plus pieux, les plus discrets, les plus tendres. Brantôme, rarement ému, en parle avec émotion. Il la montre auprès de « son seigneur et mari, luy gisant en son lict, et le venant visiter. » Elle s’asseyait près de lui, plus souvent à l’écart, pleurait et priait, sans qu’on la vit ni prier ni pleurer, « jettoit ses yeux sur luy si fixement, que sans les retirer aucunement de dessus, vous eussiez dict qu’elle le couvoit dans son cœur de l’amour qu’elle lui portoit… » Charles IX mourut. Peut-être parvint-elle à lui charmer la mort et à dégager ses approches des terreurs de l’éternité. Sa peine fut grande ; mais discrète, sans cris, sans éclat, tout entière entre Dieu et elle, Brantôme la montre alors « jettant ses belles et précieuses larmes, si tendrement, soupirant si doucement et bassement, qu’on jugeoit bien en elle qu’elle se contraignoit en ses douleurs… » Henri III devenu roi, elle sentit qu’elle n’avait plus sa place dans cette France dont elle avait été l’honneur, et elle la quitta. Les Parisiens, qui attachaient à sa présence parmi eux une importance superstitieuse, disaient, en la voyant partir, qu’avec elle s’en allait l’espérance. Elle se retira à Vienne et y fonda le monastère de Sainte-Claire. Philippe II la voulut épouser. Malgré les instances de sa mère, elle s’y refusa, voulant rester fidèle jusqu’à la fin de ses jours au roi son mari. Elle mourut à l’âge de trente-huit ans, le 22 janvier 1592, ne laissant derrière elle que le souvenir de ses vertus. « La meilleure de nous est morte, » dit la reine d’Espagne à l’ambassadeur de France… cette femme si pure avait été l’indulgence même. Elle s’était prise d’une grande affection pour sa belle-sœur la reine de Navarre, et n’avait cessé de lui être secourable. Voyant la pauvre égarée prisonnière au château d’Ussom, réduite à la dernière indigence et abandonnée du monde entier, elle lui donna la moitié du revenu de son douaire. Ces deux femmes, à un an près du même âge, avaient un trait commun, la bonté. Elisabeth d’Autriche ne vit dans Marguerite de France que ce qu’il y avait d’aimable et de généreux, sur le reste elle jeta le voile, Marguerite de Navarre, une des plus folles figures de ce temps si fécond en folies, eut cette rare fortune d’avoir pour amie dans sa jeunesse Elisabeth d’Autriche, une des plus saintes femmes du XVIe siècle, et pour aumônier dans sa vieillesse Vincent de Paul, le plus saint homme du XVIIe. Quand elle apprît la mort d’Elisabeth, sa douleur fut extrême. « Elle en garda vingt jours durant le lict, l’entretenant de