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après un aveu d’impuissance. Il le montrerait probablement à la première occasion, et il ne se contredirait pas ; il serait au contraire profondément logique dans ses instincts comme dans ses votes, en se prononçant tout à la fois et contre ceux qui auraient abusé de ses forces et de ses ressources, et contre ceux qui prétendraient lui faire expier leurs fautes par une humiliation nationale. Le ministère a donc quelque raison, il est dans la vérité lorsqu’il refuse de s’engager à l’abandon d’une possession qui a déjà coûté tant de sang, lorsqu’il soutient devant la commission de la chambre la nécessité de rester au Tonkin ; mais par cela même il s’oblige à avoir enfin une politique, à sortir de cette atmosphère de duplicité et de ruse où l’on a vécu depuis quelques années, à ne plus se payer d’illusions, d’expédiens et de subterfuges. Il faut parler clairement à la France si l’on veut qu’elle accepte les charges d’une entreprise qui n’a été jusqu’ici pour elle qu’une source d’irritantes déceptions. Tout le monde ne sera pas encore convaincu, c’est possible ; les conservateurs, pour leur part, seraient bien peu prévoyans et serviraient médiocrement leur cause s’ils se prêtaient à des coalitions avec les radicaux pour décider un abandon complet du Tonkin, qui ne déconsidérerait pas seulement, la république, qui atteindrait sûrement aussi le pays dans ses traditions, dans son intérêt national et dans son honneur.

Si la politique de la France, telle que la font les passions des partis, flotte dans les confusions, tour à tour mesquine ou irritante à l’intérieur et stérile à l’extérieur, la politique de l’Europe elle-même, il faut l’avouer, semble pour le moment assez troublée et assez impuissante. Elle se débat dans toute sorte d’obscurités, de contradictions énigmatiques et on ne voit plus bien ce qu’elle poursuit, ce que veulent les cabinets qui passent pour diriger le monde. La politique de l’Europe n’a pas été assez heureuse dans tous les cas, elle n’a pas eu assez d’autorité pour donner un caractère un peu sérieux à la conférence réunie à Constantinople et pour empêcher les affaires des Balkans de se compliquer et de s’aggraver singulièrement en quelques jours. Elle n’a rien empêché, elle n’a été jusqu’ici que la spectatrice désarmée et impuissante de cette nouvelle crise orientale qui a échappé à sa prévoyance et à sa direction, qui, elle aussi, est certes pleine de surprises et de péripéties inattendues. Qu’est-il arrivé, en effet, depuis quelques jours ?

Au moment où les représentans des puissances européennes en étaient encore à délibérer, à préparer leurs protocoles à Constantinople, tout s’est précipité dans les Balkans. Le roi Milan de Serbie a, si l’on nous passe le mot, brûlé la politesse à la diplomatie, et comme eût fait un Frédéric II envahissant la Silésie, il a franchi la frontière bulgare en invoquant les plus futiles prétextes. Il a mis son armée un mouvement, envoyant un de ses corps avec le général Leschanine sur