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mention, à en croire ces témoignages, l’œuvre des missionnaires, et surtout l’intervention des gouverneurs, le contact du blanc, en un mot, sont la ruine de ce peuple. D’autres, enfin, s’en prennent exclusivement aux gouverneurs, surtout à sir Arthur Gordon. On les accuse de se montrer trop indulgens envers les indigènes, de manquer d’impartialité, de se laisser guider par des prédilections marquées pour les choses du passé, de rétablir des us et des coutumes qui peuvent avoir été excellens sous l’ancien régime, mais qui sont impossibles dans un état policé.

Il y a surtout deux griefs que j’entends formuler. D’abord la partialité des tribunaux anglais dans les procès entre blancs et noirs. Dans toutes les discussions entre les planteurs et les travailleurs qu’ils ont engagés, on sait d’avance, me dit-on, que ce sont les travailleurs qui auront raison devant le juge. On protège l’indigène et on a raison, mais cette protection, poussée trop loin, devient de l’injustice envers le blanc. Voici un de ces cas qui se reproduisent constamment. Les travailleurs engagés par quelque planteur lui demandent des concessions ruineuses, non comprises dans son cahier des charges. Il refuse. Alors ils s’adressent au tribunal, après avoir préalablement concerté cette démarche avec tous les autres indigènes qui sont au service de leur maître. Ils l’accusent de quelque violation imaginaire de ses obligations envers eux, et comme il manque de témoins à décharge, il perd son procès. De là, — je cite toujours ce qui m’a été dit et répété, — la situation presque désespérée du petit planteur et la grande popularité, parmi les indigènes, du gouverneur, des juges, des fonctionnaires et employés anglais. « Ceux-là, s’écrie-t-on, peuvent certainement dormir tranquilles sous la garde de quelques soldats fijiens. Ils pourraient même s’en passer. Mais nous, qui ne sommes pas populaires, nous préférerions des jaquettes rouges. »

A cela les défenseurs du gouvernement répondent : « Les résidens de Suva et Levuka ne goûtent pas plus le programme : Fiji pour les Fijiens, que les Anglo-Indiens n’aiment le mot dernièrement prononcé à Calcutta et à Simla : L’Inde pour les Indiens. La plupart des blancs venus ici dans les commencemens, mais pas tous, étaient d’affreux aventuriers, des banqueroutiers australiens, des criminels échappés aux prisons de Sydney et de Melbourne, des gens de sac et de corde, la lie du genre humain. Ils étaient l’épouvantail des gens honnêtes qui, même pendant cette première période, ne faisaient pas absolument défaut, et ils transformaient Fiji en un centre d’une véritable traite d’esclaves. C’est de Levuka que Carl, le mal famé, est parti deux fois pour porter la désolation, le rapt, le meurtre dans plusieurs groupes du Pacifique. Sans notre intervention, on aurait à l’heure qu’il est exterminé l’indigène. C’est