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intermédiaires rend la vie si chère pour le petit monde et ne lui permet guère de profiter de la baisse générale des prix, la création de grandes sociétés de consommation aiderait singulièrement à résoudre le problème de la vie à bon marché. Il est vrai que la grande dispersion des ouvriers à Paris, leurs fréquens changemens de résidence, la nécessité où ils sont de porter leurs bras à droite et à gauche suivant les exigences du travail, apportent de sérieux obstacles à la création de ces sociétés, car la fixité de la clientèle est une condition inséparable de leur prospérité. Mais ces obstacles ne seraient pourtant pas insurmontables[1]. Ce qui est malheureusement vrai, c’est qu’en Angleterre le sens pratique des ouvriers s’est appliqué de bonne heure au développement des sociétés de consommation, tandis que l’instinct plus rêveur de l’ouvrier français, de l’ouvrier parisien surtout, l’a entraîné vers les sociétés de production, auxquelles il ne demande rien moins que la transformation même de sa condition sociale. Cependant cette institution si utile des sociétés de consommation semble dans ces derniers temps avoir regagné une certaine faveur au sein de la classe ouvrière. Il y a quelques mois à peine, un congrès général des sociétés de consommation était convoqué à Paris sur l’initiative d’une petite société nîmoise, qui a rendu en cette circonstance un véritable service. À ce congrès quatre-vingt-sept sociétés seulement étaient représentées. Mettons qu’un nombre égal ait négligé d’y envoyer des délégués. C’est bien peu pour toute la France, et nous voilà bien loin des deux mille sociétés anglaises. Au cours des séances de ce congrès, certaines informations intéressantes ont été échangées ; certaines mesures qui paraissent judicieuses ont même été adoptées. Il faut souhaiter que ces mesures portent leurs fruits, mais une chose est à remarquer, c’est que les sociétés de consommation, si elles font fortune en France, le devront exclusivement à elles-mêmes. Le congrès dont je viens de parler s’est tenu au milieu de l’indifférence générale non-seulement des pouvoirs publics, si prodigues cependant d’encouragemens plus ou moins judicieusement distribués, mais de tous ceux qui font profession de s’intéresser à la condition des classes ouvrières. Et cependant le succès et la multiplication de ces sociétés de consommation pourraient être considérés comme un des moyens les plus efficaces de combattre la misère. J’aurais pour mon compte en ce remède beaucoup plus de confiance que dans la coopération et

  1. Depuis quelques années, le nombre et la clientèle des sociétés de consommation se sont cependant accrus dans le département de la Seine. D’après les documens les plus récens, on y comptait 39 sociétés dont 25 à Paris et 14 dans la banlieue, comprenant 10,000 associés.