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moi, répond à peu près la jeune fille, n’acceptons pas de vivre, à l’ordinaire, séparées ? .. — La mienne alors refuse son consentement. — Ne pouvez-vous lui adresser les sommations légales ? — Moi ! que je manque de respect à ma mère ! .. — Vous voyez bien, mon ami, que je ne peux manquer de respect à la mienne. » Et là-dessus, dos à dos, ils se quittent. La rencontre des consignes est ingénieusement préparée, l’opposition en est vivement faite. Hé ! qui ne voit que ce sont des consignes ? Les conditions de ce mariage, tout de bon, étaient acceptables ; bien des familles régulières ne s’unissent pas à meilleur compte : il fallait ici, pour empêcher l’accord, un commandement exprès de l’auteur. Mais, pour que le héros et l’héroïne soient ainsi dociles à ses ordres, ne faut-il pas qu’il leur ait choisi de certaines âmes et permis seulement un certain degré de passion ? Oui, sans doute, par son décret et pour son dessein, ils s’aiment faiblement ; autant dire, puisqu’il s’agit de personnages de théâtre, qu’ils ne s’aiment pas. Même des amours plus énergiques, sur la scène, pour avoir cédé, nous sont suspects. Ici la loi des sentimens est : « Malheur aux vaincus ! » Toute passion qui ne parvient pas à son objet, on ne périt pas avec le héros qu’elle anime est soupçonnée d’avoir mal combattu ou de n’avoir pas, combattu du tout ; s’il n’est, à la fin, mort glorieusement ou victorieux, l’amour est tenu pour déserteur ; s’il n’a pas gagné la partie, c’est qu’il n’était pas là. Des amoureux comme ceux-ci courent donc le risque d’être accusés de n’aimer point. Le foyer de l’ouvrage est tiède ou, pour mieux dire, éteint aussitôt qu’allumé. Difficile entreprise, décidément, que celle de M. Sardou !

Mais, s’il n’y a guère d’action entre le héros et l’héroïne, peut-être y en-a-t-il une entre chacun d’eux et sa famille ; entre l’enfant de l’honnête femme et sa mère, dût la pièce rappeler un peu trop les Idées de Mme Aubray, — entre l’enfant de la courtisane et la sienne, dût-on se souvenir trop clairement du Fils de Coralie. Ce double danger a-t-il effrayé M. Sardou ? Je croirais plutôt que, s’il s’est méfié de l’une et de l’autre lutte, c’est que toutes les deux pouvaient aboutir à d’autres fins que la sienne : le héros n’aurait en qu’à trop bien convaincre sa mère ! La mère de l’héroïne n’aurait eu qu’à se sacrifier ! On était, malgré soi, tiré de l’impasse : or il s’agit d’y rester.

Point de drame entre Mme de Chabreuil et son fils ; une simple controverse, au deuxième acte, suffit. A l’instant où ils forment le projet de rechercher pour bru et pour femme Mlle Paula d’Alberti, fille de la duchesse de Carlington, ils apprennent par leur parent, M. Clavel de Chabreuil que le comte d’Alberti, prétendu père de la jeune fille, n’a jamais existé : qu’elle est née des amours de Cardillac, un ami de Clavel, un officier mort à l’ennemi, et de Geogeotte Coural, dite Georgette, danseuse de genre, chanteuse légère, et légère en tous genres, enrichie, après bien des aventures, par le testament d’un Américain, épousée pour cette