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fortune, en premières et dernières noces, par un Anglais ruiné, lord O’Donnor, duc de Carlington. Cela ne fait pas que Paula ne soit une jeune personne accomplie, douée à merveille et parfaitement élevée. Gontran expose toutes les raisons qu’un homme peut avoir d’épouser une telle fille ; Mme de Chabreuil, en regard, développe toutes les raisons que peut avoir une famille de repousser l’alliance d’une telle mère. Gontran s’anime jusqu’à établir un parallèle entre la courtisane qui, en préparant sa fille pour le mariage, a travaillé au salut d’une âme, et l’honnête femme qui, en repoussant cette fille du mariage, travaille à sa perdition : précisément, c’est le plus haut point où sa passion s’exalte. Mme de Chabreuil répond qu’elle n’admet pas une Geogeotte (ou Jojotte, comme l’écrit M. Sardou), à l’honneur d’être un jour, au même titre qu’elle-même, la grand’mère de ses petits-enfans : parmi les argumens que l’auteur lui attribue, c’est le plus convenable à sa personne et à sa condition, le plus naturel et le plus topique. M. Clavel, comme nous l’avons vu, préside à la discussion et la résume. Après quoi, il n’est plus question de ce débat entre la mère et le fils jusqu’au dernier acte, où le fils vient annoncer qu’il a obtenu à la cantonade, sans doute par un coup de la grâce, le consentement de sa mère. Voilà pour une partie ; voici pour l’autre.

Paula, jusqu’au troisième acte, ne se doutait nullement de l’indignité de sa mère et le l’apprend alors jusqu’en ses détails ; elle l’apprend par un artifice d’une complication extraordinaire, d’une conduite pénible et d’une vraisemblance douteuse : il y faut, avec beaucoup de menus faits, la maladresse et l’imprudence d’une camériste qui devrait être plus rouée, étant depuis un quart de siècle au service de Geogeotte ; il y faut chez l’héroïne une force et une vitesse d’induction à émerveiller Edgar Poe ; et, si rapide que soit chez cette innocente l’intelligence du mal, ce coup de théâtre fait long feu. Mais de quelque façon qu’elle l’ait sue, Paula sait l’infamie de sa naissance : que va-t-elle faire ensuite ? Voilà l’important. Eh bien ! Paula cache à sa mère la connaissance qu’elle a de ce déplorable secret. Le sentiment est délicat ; ce tour, d’autre part, donne quelque nouveauté à la pièce : qui ne voit cependant qu’il étouffe le drame ? Au moins il le restreint sévèrement. Geogeotte, ignorant que sa fille est éclairée, demeure jusqu’au bout la même ; Paula, mettant l’éteignoir sur la lumière, reste isolée : point de reflet d’une âme sur l’autre. Dans ces conditions, si le drame existe, il est borné au cœur de l’héroïne ; il se réduit à un monologue : et, en effet, la scène qui suit la révélation, entre Paula et Clavel, n’est proprement, si je puis dire, qu’un monologue à deux voix. Clavel, ici, ne parle pas pour son compte ; il prête des paroles à la conscience de la jeune fille, à cette conscience partagée tout d’un coup ; il en représente la moitié, il plaide pour la piété filiale, pour la gratitude, pour l’équité,