Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses créanciers, mais Londres, aux yeux de ses protecteurs, offrait encore plus de danger que la France, « parce que là aucun éclat ne peut être prévenu par voie d’administration, que la constitution anglaise n’admet pas. » l’impératrice fit donc revenir le jeune écervelé en Russie, en lui donnant un tuteur pour contenir ses dépenses et sauver les restes de sa fortune. Elle avait fini par reconnaître qu'il n’y avait rien à attendre d’une tête sourde à tous les conseils.

L'agent confidentiel qui recevait les missions secrètes de Catherine avait quelquefois aussi à lui transmettre des propositions qui exigeaient également la discrétion. c’est à Grimm que Bouillé s'adressa, vers la fin d’avril 1791, deux mois avant la fuite de Varennes, pour faire des offres de service à l’impératrice. Grimm connaissait Bouillé ; il s’était arrêté à Metz l’année précédente tout exprès pour le voir, et ils avaient échangé les sentimens communs que leur inspirait la révolution. « C’est l’homme le plus selon mon cœur, écrivait Grimm à cette occasion, mais à moins de quelque combinaison extraordinaire et imprévue, il sera aussi inutile au rétablissement de l’ordre que les autres, parce que la désorganisation de ce royaume est telle qu'il me paraît impossible de le garantir de sa dissolution. » Bouillé en jugeait de même et cherchait à prendre du service à l’étranger. effrayé des progrès que faisait l’indiscipline dans l’armée, il avait promis au roi « de tenir bon dans son commandement le plus longtemps qu'il lui serait possible, » mais il avait « exigé et obtenu pour condition qu'il serait le maître de quitter son commandement d’un moment à l’autre, dans les vingt-quatre heures, de le remettre au plus ancien de ses officiers, et de quitter même la France s’il jugeait ne pouvoir plus remplir ses devoirs dans le poste où il tenait depuis près de deux ans comme par miracle. » La position de Bouillé était si bien comprise au dehors qu'il avait reçu des offres de commandement de l’Espagne et de l’Angleterre : il préférait le service de la Russie et s'imaginait trouver de ce côté un accueil d’autant plus empressé que cette puissance semblait alors sur le point de rompre avec l'Angleterre et la Prusse, et devait éprouver le besoin de s’attacher un homme distingué par ses services de terre et de mer. Bouillé dépêcha donc de Metz à Paris, sous un prétexte quelconque, le général de Heymann, brillant officier de cavalerie qui servait sous lui, partageait ses opinions et désirait également mettre son épée au service de l’étranger. Heymann remit à Grimm la lettre par laquelle Bouillé l’accréditait, et lui fit connaître les conditions que les deux militaires mettaient à leur entrée au service de Russie. Bouillé stipulait pour lui-même la qualité de général en chef; le grade de lieutenant-général devait satisfaire Heymann, mais le premier