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offre des scènes animées. Hors la ville, la chaleur endort la nature silencieuse ; mais dans l’ombre fraîche des ruelles fourmille la vie populaire. Les enfans sortent en se gourmant de l’école ; les ânes passent au trot, montés par des Turcs sérieux ; les marchands d’eau crient et font tinter leurs tasses de cuivre; de leurs pieds blancs et nus, les vieux tisseurs d’or donnent le branle à la roue où tourne l’écheveau de soie, et, dans la poussière étincelante, le sifflement du dévidoir semble la vibration de l’air lumineux.

Certains chœurs de la Statue rendent très heureusement ce nouvel aspect de l’Orient, la gaîté des bazars et des quartiers turbulens. L’opéra comique de M. Reyer est distingué, trop distingué peut-être, en ce sens qu’il est trop fin pour le théâtre. Des recherches qui nous charment au piano nous échappent à la représentation ; la valeur scénique de l’œuvre ne répond pas à sa valeur musicale. Et puis, un poème véritablement insipide gâte la Statue ; on ne lit jamais la partition sans plaisir, mais on ne saurait voir la pièce sans ennui.

Rien, en revanche, n’est moins ennuyeux que le Caïd, de M. Ambroise Thomas. Encore un opéra comique oriental ; mais de quelle réjouissante façon l’Orient est traité dans cette bouffonnerie ! l’Algérie du Caïd est un peu l’Algérie de Tartarin. L’Algérie sans palmiers, sans lions; le muezzin de M. Thomas n’est ni plus sérieux, ni moins comique que le héros de M. Daudet, invitant lui-même les musulmans à la prière. Sévère ou plaisant, M. Thomas n’est rien à demi ; et même du Barbier à Guillaume Tell il y a moins loin peut-être que du Caïd à Hamlet. L’opéra comique, trop rarement comique aujourd’hui, devrait faire avec le Caïd des lendemains piquans à Mignon. Le maître aurait ainsi double triomphe, et croyez bien que son visage austère ne se défendrait pas du rire d’autrefois. Il est si franc et si français, le rire du Caïd. M. Ambroise Thomas a finement saisi là certain côté de notre esprit national et certain aspect de l’Algérie. Nous avons toujours le goût des soldats, des parades, des revues et de la musique du dimanche. En Algérie, cette sympathie pour l’armée est plus cordiale encore. Sur cette terre, qui n’a vu que nos victoires, le souvenir de nos malheurs est moins présent et laisse intact le prestige de nos troupes. L’Algérie reste le pays de l’uniforme et du panache, où se conserve, avec le respect de l’armée, l’amour du « militaire. » Ce chauvinisme héroïcomique, ces figures aujourd’hui quasi-légendaires du tambour-major amoureux et martial, de la lingère de Paris et de l’ardente Algérienne ; cette gaîté française qui jette dans la vie arabe une note brillante comme celle des pantalons rouges dans les paysages d’Afrique, ce vague souvenir de Paul de Kock et de Béranger, voilà