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nullement étroit encore, de Jérusalem. Les belles choses qui s’y trouvaient faisaient passer condamnation sur certaines autres. Beaucoup de parties de ce vieux texte eussent été assurément écrites autrement qu’elles ne le sont, si le livre eût été composé depuis les prédications d’Amos, d’Osée, d’Isaïe, Rien cependant, dans la haute naïveté du récit, n’était de nature à choquer les piétistes. L’esprit d’Ephraïm et des tribus du Nord y était sensible, mais ne s’exprimait pas d’une manière blessante pour Juda. L’erreur critique la plus grave serait de supposer qu’on eût alors quelque idée d’un texte sacré. On croyait qu’il y avait eu des révélations de Iahvé ; les principales étaient censées avoir été faites à Moïse au Sinaï ; mais aucun livre n’avait la prétention de représenter exclusivement ces révélations. A côté du récit jéhoviste, on gardait donc sans le moindre scrupule le récit élohiste, produit d’une rédaction plus moderne et qui présentait le code de l’alliance sous une forme mieux accommodée aux idées hiérosolymitaines, sous la forme du Décalogue. Bien que rédigé à Jérusalem, et en tout favorable à Juda, ce récit élohiste était moins lu que le récit jéhoviste, sans doute parce qu’on le trouvait moins pieux, moins propre à montrer les devoirs étroits d’Israël envers Iahvé.

Cette duplicité dans la rédaction d’un livre qui chaque jour prenait plus d’autorité n’était pas néanmoins sans de graves inconvéniens. Elle avait eu sa raison d’être à l’époque des deux royaumes; elle n’en avait plus depuis que la maison d’Israël n’avait plus qu’un chef. Si la dispersion des juifs n’avait pas été si grande au moyen âge, certainement les deux Talmuds de Jérusalem et de Babylone seraient arrivés à se réunir en un seul. L’idée de fondre ensemble les deux récits dut venir, par conséquent, de bonne heure. C’est par conjecture assurément que nous rapportons cette opération au règne d’Ezéchias. Nous croyons cependant qu’on trouverait difficilement un temps qui réponde mieux à l’état d’esprit où une telle entreprise put être conçue et exécutée.

Cette fusion, en effet, exigea des partis si francs, si naïfs, qu’on ne peut guère la concevoir à une époque de scribes pieux, considérant superstitieusement les vieux livres comme écritures sacrées. On ne taille pas avec une telle liberté dans un texte admis comme inspiré. L’anatomie ne s’exerce pas sur des corps saints. Les divergences entre les deux récits étaient très fortes. Les règles que suivit l’unificateur furent à peu près celles-ci : 1° quand les deux récits étaient identiques, ou à peu près, n’en mettre qu’un, en sacrifiant les détails secondaires que l’autre pouvait contenir; 2° quand les deux récits étaient parallèles, sans jamais se toucher tout à fait, ainsi que cela avait lieu pour le déluge, enchevêtrer les deux narrations, au risque de produire un texte incohérent, plein de zigzags