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monde, caricatures grotesques d’agioteurs véreux, de fournisseurs enrichis ; si, dans la confusion d’une société à peine réformée, se heurtaient, se mêlaient les plus étranges disparates : généraux et chevaliers d’industrie, femmes galantes et femmes de l’ancienne noblesse, émigrés et patriotes, tous étaient d’accord pour reconnaître que cela ne pouvait pas durer. Les esprits avaient subi des secousses si diverses, que la bourgeoisie se dégoûtait des fonctions électives ordinaires. Les magistratures municipales n’étaient plus recherchées. En même temps un mal nouveau naissait. Tous ceux qui avaient été membres des assemblées législatives, tous ceux qu’avait éprouvés l’infortune, croyaient qu’ils devaient être indemnisés par des places lucratives. Les légistes, particulièrement préparés aux affaires et ne trouvant plus dans leur cabinet des ressources suffisantes, étaient les premiers à donner l’exemple des compétitions. Le barreau était d’ailleurs tombé dans l’avilissement. A cet ordre des avocats, asile de la science, de la probité, de l’indépendance et de l’honneur, avait succédé une tourbe de défenseurs officieux, qui, nés dans l’anarchie, profitaient de la désorganisation de la compagnie pour envahir sans instruction et sans titre l’entrée de la justice. « Qui nous donnera confiance ? » s’écriaient de leur côté les négocians que la crise monétaire et la difficulté des transports arrêtaient dans leurs efforts pour se relever de la ruine. Une lettre de vendémiaire an V nous apporte un exemple de l’impossibilité même des communications. « On ne croirait pas ce que le voyage d’Orléans à Paris nous a coûté. Il faudra nous ramener nos montures. Il n’y a plus de diligences proprement dites. Il faut prévenir un mois d’avance pour avoir des places, d’où il résulte qu’à l’heure qu’il est, et pendant que Paris est le centre de toutes aises et de tout luxe, on ne peut traverser la France qu’à pied ou à cheval. »

Le mécontentement était donc universel quand, pour la quatrième fois depuis la constitution de l’an III. la France fut appelée en germinal an VII à choisir ses représentans. « Ceux qui n’ont pas vécu à cette époque, a dit le duc de Broglie, ne sauraient se faire une idée du découragement profond où le pays était tombé dans l’intervalle qui s’écoula entre le 18 fructidor et le 18 brumaire. » l’exercice public de la religion était de nouveau suspendu, la banqueroute des deux tiers de la dette publique était suivie d’un emprunt forcé ; une dictature sans grandeur énervait de jour en jour la puissance de l’état.

La haute bourgeoisie se demanda alors ce qu’elle devait garder de la révolution. Ces hommes formés à l’école instructive des événemens et qui avaient perdu leurs préjugés et leurs passions en arrivèrent à ne plus croire à la république et à la liberté. Ils attachèrent