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d’enseignement d’état paraissait aux pères de famille une garantie contre la réouverture des établissemens des jésuites.

Quant à Bonaparte, qui savait s’emparer des idées des autres pour les grandir, il avait un autre but ; il voyait dans un corps enseignant fortement organisé, ayant une hiérarchie de grades et soumis à des règles d’avancement, un moyen de diriger les opinions politiques et philosophiques. Il répétait la phrase célèbre de Leibniz : «Donnez-moi l’instruction publique pendant un siècle et je changerai le monde. »

Pour les classes moyennes, la question était autre : trouver l’éducation qui convenait à la société nouvelle, fondée sur les principes de la révolution. Le conseil d’état, voix autorisée des aspirations de la haute bourgeoisie, ne chercha, dans les neuf rédactions successives du projet, que la solution pratique de ce problème : séculariser l’instruction publique, comme le code civil avait sécularisé la France : l’Université fut créée. Son originalité et son utilité ne consistaient pas seulement dans l’étude des langues et de la littérature de la Grèce et de Rome, dans cet apprentissage des plus nobles sentimens humains ; l’éminent service qu’elle devait rendre aux jeunes bourgeois consistait surtout dans l’enseignement critique de l’histoire et des doctrines philosophiques. C’est en ce sens que les principes de 89 étaient fortement engagés dans la création de l’Université française.

Sans doute, on ne tendait nullement alors à donner aux enfans les connaissances morales et politiques qui font les citoyens et les préparent à participer aux travaux de leur gouvernement. Sans doute, on leur parlait plus de Bonaparte que de l’état, en les exaltant pour la gloire ; mais, comme le remarquait dès lors une femme d’une haute raison et d’un mâle bon sens, Mme de Rémusat, la force de l’étude, la puissance du temps développèrent bien vite chez les professeurs, comme chez les élèves, l’esprit d’examen et d’indépendance démocratique. Ce qui restait de l’ancienne noblesse le comprit si bien qu’elle éloigna ses enfans des lycées. La jeunesse bourgeoise, au contraire, vint s’y fortifier de la toute-puissance de l’opinion publique et elle acquit une supériorité incontestable. C’est grâce à l’enseignement de l’histoire, quelque restreint qu’il fût, que l’esprit libéral se réveilla dans lame de la jeunesse, et c’est à l’Université que nous devons ces classes moyennes de la restauration, qui ne le cédèrent à leurs aînées de 89 ni par l’éloquence, ni par le courage, ni par le patriotisme.


V.

Rassurée sur le maintien des résultats sociaux de la révolution et sachant gré au premier consul de la préserver du retour des