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quel charme secret attire ainsi la comtesse de ce côté? Il s’informe, il épie, et, poussé à bout par la perfidie d’un Iago quelconque, il viole le sanctuaire en se parjurant. Mélusine pousse un cri d’épouvante, les sirènes l’entourent de leurs voiles comme d’un nuage et Raymond la voit disparaître à ses yeux pour jamais.

Habent sua fata libelli. De ce poème de Mélusine Beethoven, hélas! devait mourir sans avoir écrit une note; mais l’idée survécut, et la chrysalide, après avoir dormi un bout de temps, se réveilla symphonie aux mains de Mendelssohn. Qui ne connaît cette merveilleuse narration musicale où pas un détail du sujet n’est omis, cette phrase de l’introduction avec ses frais gazouillemens de source, ses ondulations murmurantes sous qui se dérobe comme un cri d’humaine douleur? Maintenir la vie des élémens en un perpétuel commerce avec la nôtre, les animer, les passionner à notre ressemblance, deux musiciens ont possédé ce secret par-dessus tout, Mendelssohn et Schubert. j’ai signalé la phrase du début, la voici à présent qui nous revient transfigurée ; à son grésillement pittoresque, à sa pure et simple transparence quelque chose d’étrange s’est mêlé, de conscient. Écoutez le hautbois et sa plainte ; Mélusine a passé de la vie élémentaire à la vie mortelle, l’ondine a pris corps et cœur de femme, un soupir d’amour et de souffrance nous le dit. Un amateur de ces questions d’esthétique comparée qui nous passionnent devrait aussi, après s’être rendu compte de la symphonie, aller à Munich visiter les fresques de Schwind.

Pour revenir au poème de Grillparzer, il a ceci de remarquable que la situation principale de Tanhauser s’y trouve non pas simplement indiquée, mais traitée à fond ; le comte Raymond comme le chevalier saxon succombe à l’immense ennui des ivresses profondes ; Mélusine s’en étonne : « Je t’ai donné, dit-elle, plus que la terre ne peut donner, j’ai mis à tes pieds tout ce qui fait l’enchantement de l’existence, je t’aime d’amour infini, que te manque-t-il? — l’action. » n’est-ce pas original de surprendre ainsi la note de demain chez un poète appartenant aux traditions du passé? « Ma partition est là tout entière, s’écriait Beethoven en se frappant le front; je n’ai plus qu’à l’écrire. » La mort, hélas ! l’en empêcha et peut-être aussi le désordre de son existence. Grillparzer l’aimait comme il l’admirait, tendrement, simplement, sans hyperbole et toujours fidèle à son culte de Mozart. Un de ses poèmes, très amusant, avec son petit air voulu d’antiquaille et sa coupe de rondo, nous peint l’entrée de Beethoven à l’Elysée ; Sébastien Bach, Händel, Haydn, vont au-devant de lui, Cimarosa aussi et Paisiello, quand, soudain, la foule s’écarte, quelle foule : Dante, Shakspeare, Raphaël, Michel-Ange, Tasse! et, dans un éblouissement