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procès aux directeurs de notre Opéra ? Contesterons-nous que l’association de MM. Ritt et Gailhard, d’un administrateur et d’un musicien expérimentés, présentent les meilleures garanties pour la prospérité matérielle et l’honneur artistique de la maison ? De quel duumvirat plus que de celui-là pourrait-on espérer de bonnes affaires et de bonne musique? Les directeurs de l’Opéra sont actifs et zélés : ils ont fait représenter depuis leur avènement Tabarin, Rigoletto, Sigurd et le Cid. Ils sont aussi gens de goût, puisqu’ils ont appelé Mme Caron et MM. de Reszké, puisqu’ils ont retenu Mlle Richard et M. Lassalle. — Sous l’autorité directoriale, les différens services de l’Opéra sont aux mains de chefs compétens et consciencieux. Enfin l’orchestre, cet orchestre auquel nous chercherons tout à l’heure plus d’une querelle, est composé de musiciens qui pour la plupart sont des maîtres. D’où vient donc que cette réunion d’instrumentistes éminens compose un ensemble souvent plus que médiocre? d’où vient que les attaques manquent de sûreté, que les mouvemens sont altérés, les traits exécutés sans force ou sans grâce, les accords arpégés, et comme effrangés? d’où viennent cette mollesse et cette apathie? n’est-ce pas que le bâton vacille entre des mains incertaines, et que les musiciens, comme les autres citoyens, ont besoin d’être gouvernés? Que leur chef réprime donc des négligences qui, pour lui, ne sauraient passer inaperçues ou indifférentes, et que ne toléreraient pas les chefs de nos orchestres symphoniques. Qu’il exige, à défaut de l’ardeur, qui ne se commande pas, surtout trois fois par semaine, l’attention qui s’impose toujours. L’enthousiasme ne peut être que d’exception, mais la conscience doit être de règle. — Aux chœurs, comme à l’orchestre, la discipline et le soin manquent le plus. Le jour seulement où l’une serait rétablie et l’autre exigé, la musique à l’Opéra serait sauvée.

Elle peut l’être encore, et l’on trouve à l’Académie nationale des élémens de travail et de succès. Nous avons voulu les reconnaître tout d’abord, pour qu’on ne puisse reprocher à notre critique des sévérités de parti-pris ou des cruautés inutiles. Nous signalons le mal, parce qu’il n’est pas sans remède, et les défauts parce que nous ne les croyons pas incorrigibles. Les ouvrages nouveaux, Sigurd, le Cid surtout, ont été montés avec une conscience et un soin que nous avons été des premiers à louer. Ce qu’on fait pour les œuvres d’aujourd’hui, qu’on le fasse pour les vieux chefs-d’œuvre; on le doit, et nous affirmons qu’on le peut.

Étudions avec quelque détail cette longue partition des Huguenots, et jugeons de son interprétation actuelle. De tous les ouvrages de Meyerbeer, c’est le plus beau, mais le plus difficile. Nul autre n’exige des chanteurs la même intelligence, la même passion, une attention plus constante et plus minutieuse, un tact aussi délicat des nuances. Raoul et Valentine sont peut-être les créations les plus parfaites de