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Le chœur des baigneuses, le chœur du bandeau, sont chantés avec une raideur inflexible. Le premier surtout est pris sur un rythme beaucoup trop précipité, beaucoup trop sec, qui durcit le contour moelleux de la mélodie. On n’entend pas sur la scène la partie des seconds soprani; on entend à peine à l’orchestre ces gammes murmurantes de violoncelles qui donnent à l’accompagnement la fluidité de l’eau courante. Les violens, qui doublent les premiers soprani, ne font qu’en accentuer l’aigreur. Mais, ce que ces mêmes violens exécutent le plus platement, c’est la belle ritournelle du duo entre Raoul et la reine, ce prélude de six mesures, dont l’explosion et la retenue successives font frémir à Milan toute la salle de la Scala. Raoul dirait peut-être plus finement son madrigal chevaleresque si l’orchestre daignait lui souligner, dans cette courte préface, la double nuance de galanterie et de passion, qu’il aura tout à l’heure à rendre lui-même.

Avec le troisième acte, nous entrons dans le cœur du drame. Hélas ! les interprètes de l’œuvre ne s’élèvent pas avec elle. De plus en plus importans, les ensembles restent médiocres : la reprise combinée du Rataplan et des litanies manque de nerf et de netteté. M. Melchissédec continue de chanter et de marcher trop vite, ignorant sans doute que les grands seigneurs sont plus posés. M. Plançon, qui joue Saint-Bris, n’arrive à tirer de sa haute stature, de sa voix puissante et de ses gestes trop arrondis, que des effets d’une mièvrerie gigantesque ; il n’accentue pas les phrases haineuses : Il revient donc enfin, ou bien : Un Dieu vengeur l’amène ! Ces deux ou trois pages de récits qui précédent le couvre-feu sont d’un grand caractère ; elles abondent eu détails, en nuances que l’on néglige toujours.

La cloche s’est éteinte, et sur le seuil de l’église, annoncée par une des plus belles ritournelles instrumentales qu’il y ait dans la musique moderne, la plus noble des héroïnes de Meyerbeer apparaît.

Nous n’avions fait qu’entrevoir, au second acte, Mlle Dufrane descendant péniblement le grand escalier de Chenonceaux : elle justifie ici toutes nos craintes. Dans la nuit, dans la solitude, Valentine quitte l’autel ; et, vêtue encore de sa robe nuptiale, en toute liberté, mais en tout honneur aussi, avec une passion ardente, mais avec une pureté sublime, elle vient exhaler son amour pour celui qui l’a repoussée et qu’au prix de sa gloire, de sa vie peut-être, elle veut sauver de la haine de son père. Que devient-elle à l’Opéra, « cette grande fille brune, courageuse, entreprenante, exaltée[1] ? « A quelle voix pâteuse et bouffie ce rôle éclatant est-il livré? Quelle tragédienne et quelle cantatrice est donc celle-ci, pour n’être portée ni par ce drame ni par cette musique ! A partir de ce moment, la représentation des Huguenots

  1. G. Sand, Lettres d’un voyageur.