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devient presque douloureuse, et l’on se prend vraiment à redouter que les beautés les plus saintes ne finissent par succomber sous de tels outrages. De ce duo, rien n’est épargné, depuis la phrase : Qu’il ne vienne au combat que bien accompagné, dite sans aucune nuance de mouvement ni de sonorité, jusqu’aux vocalises finales, descendues par la cantatrice aussi lourdement que les degrés de Chenonceaux. Quant à la plainte célèbre : Ah ! l’ingrat, d’une offense mortelle, l’orchestre l’annonce comme il ferait d’une petite romance ; on ne saurait dire cette mélancolique entrée de cors et de violoncelles avec moins de poésie, moins d’expansion, dans un style plus étriqué. Mlle Dufrane suit l’exemple de ses accompagnateurs : elle ne soupçonne pas l’art de la déclamation lyrique ; elle donne, par exemple, au seul mot : égaré une expression mélodramatique et presque ridicule ; elle ne trouve que des cris sans un accent, et sa voix savonneuse glisse à tout instant sur les hauteurs de ce sublime duo.

La voix de M. Duc ne glisse pas ; elle attaque avec crânerie l’ut dièse qui couronne le septuor. Il n’est que juste de féliciter le jeune ténor de cette note retentissante : elle émeut la salle avec l’éclat soudain d’une détonation. L’artiste a le droit, le devoir même, de donner, quand il la possède, une note fameuse ; mais il a le plus grand tort de la prolonger avec trop de complaisance. L’ut dièse en question n’est qu’une note de passage, dont le maintien exagéré dénature le sentiment de la phrase musicale. Mais il s’agit bien ici de sentiment ! le public demande une sensation violente ; l’ut dièse la lui donne ; il applaudit. Que dis-je ? il délire. Au mépris de l’action, de ce duel qui commence, il fait bisser le morceau, pour réentendre, à la mode italienne, non pas même une phrase, mais une note. C’est du public surtout que nous faisons ici le procès ; du public, auquel un coup de gosier ne de-rait pas donner le change sur l’interprétation de tout un rôle ; du public qui, par des transports insensés, acclame aujourd’hui des prouesses physiques et méconnaîtra peut-être demain des trésors d’intelligence et d’art. Une note ne fait pas le bonheur d’un peuple ; et, si intense qu’en soit la sonorité, si violent qu’en soit, sur les nerfs de la foule, l’effet purement acoustique, elle n’est jamais, sans l’intelligence, sans l’expression, que le vain éclat d’une cymbale retentissante. Bœrne avait décidément tort de définir le public « une collection d’individus où chacun peut être une mazette, mais dont l’ensemble est raisonnable. » l’ensemble même déraisonne, et les artistes sont peut-être excusables de déraisonner aussi sur la foi de ces trompeuses démonstrations.

Les Huguenots, à partir de ce moment, suivent une foudroyante progression, et notre sévérité pour de médiocres interprètes ne peut hélas ! que s’accroître, comme notre admiration pour des beautés toujours plus éclatantes et toujours moins aperçues. Le quatrième acte